GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com
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- Dites donc, demanda-t-il, si je n'ai pas de punitions, est-ce que vous croyez qu'on<br />
me donnera une permission d'un mois, dans deux ans<br />
Alors, Etienne parla de la Provence, qu'il avait quittée tout petit. Le jour grandissait,<br />
des flocons de neige <strong>com</strong>mençaient à voler dans le ciel terreux. Et il finit par être pris<br />
d'inquiétude, en apercevant Jeanlin qui rôdait au milieu des ronces, l'air stupéfait de le<br />
voir là-haut. D'un geste, l'enfant le hélait. A quoi bon ce rêve de fraterniser avec les<br />
soldats Il faudrait des années et des années encore, sa tentative inutile le désolait,<br />
<strong>com</strong>me s'il avait <strong>com</strong>pté réussir. Mais, brusquement, il <strong>com</strong>prit le geste de Jeanlin: on<br />
venait relever la sentinelle; et il s'en alla, il rentra en courant se terrer à Réquillart, le<br />
coeur crevé une fois de plus par la certitude de la défaite; pendant que le gamin,<br />
galopant près de lui, accusait cette sale rosse de troupier d'avoir appelé le poste pour<br />
tirer sur eux.<br />
Au sommet du terri, Jules était resté immobile, les regards perdus dans la neige qui<br />
tombait. Le sergent s'approchait avec ses hommes, les cris réglementaires furent<br />
échangés.<br />
- Qui vive... Avancez au mot de ralliement!<br />
Et l'on entendit les pas lourds repartir, sonnant <strong>com</strong>me en pays conquis. Malgré le<br />
jour grandissant, rien ne bougeait dans les corons, les charbonniers se taisaient et<br />
s'enrageaient, sous la botte militaire.<br />
VI, II<br />
Depuis deux jours, la neige tombait; elle avait cessé le matin, une gelée intense<br />
glaçait l'immense nappe; et ce pays noir, aux routes d'encre, aux murs et aux arbres<br />
poudrés des poussières de la houille, était tout blanc, d'une blancheur unique, à<br />
l'infini. Sous la neige, le coron des Deux-Cent-Quarante gisait, <strong>com</strong>me disparu. Pas<br />
une fumée ne sortait des toitures. Les maisons sans feu, aussi froides que les pierres<br />
des chemins, ne fondaient pas l'épaisse couche des tuiles. Ce n'était plus qu'une<br />
carrière de dalles blanches, dans la plaine blanche, une vision de village mort, drapé<br />
de son linceul. Le long des rues, les patrouilles qui passaient avaient seules laissé le<br />
gâchis boueux de leur piétinement.<br />
Chez les Maheu, la dernière pelletée d'escarbilles était brûlée depuis la veille; et il ne<br />
fallait plus songer à la glane sur le terri, par ce terrible temps, lorsque les moineaux<br />
eux-mêmes ne trouvaient pas un brin d'herbe. Alzire, pour s'être entêtée, ses pauvres<br />
mains fouillant la neige, se mourait. La Maheude avait dû l'envelopper dans un<br />
lambeau de couverture, en attendant le docteur Vanderhaghen, chez qui elle était<br />
allée deux fois déjà, sans pouvoir le rencontrer; la bonne venait cependant de<br />
promettre que Monsieur passerait au coron avant la nuit, et la mère guettait, debout<br />
devant la fenêtre, tandis que la petite malade, qui avait voulu descendre, grelottait sur<br />
une chaise, avec l'illusion qu'il faisait meilleur là, près du fourneau refroidi. Le vieux<br />
Bonnemort, en face, les jambes reprises, semblait dormir. Ni Lénore ni Henri n'étaient<br />
rentrés, battant les routes en <strong>com</strong>pagnie de Jeanlin, pour demander des sous. Au<br />
travers de la pièce nue, Maheu seul marchait pesamment, butait à chaque tour contre<br />
le mur, de l'air stupide d'une bête qui ne voit plus sa cage. Le pétrole aussi était fini;<br />
mais le reflet de la neige, au-dehors, restait si blanc, qu'il éclairait vaguement la pièce,<br />
malgré la nuit tombée.<br />
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