GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com
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éclamait la république et la guillotine, pour débarrasser la terre de ces voleurs de<br />
riches, engraissés du travail des meurt-de-faim.<br />
- Oui, de mes dix doigts, je les écorcherais... En voilà assez, peut-être! notre tour est<br />
venu, tu le disais toi-même... Quand je pense que le père, le grand-père, le père du<br />
grand-père, tous ceux d'auparavant, ont souffert ce que nous souffrons, et que nos<br />
fils, les fils de nos fils le souffriront encore, ça me rend folle, je prendrais un couteau...<br />
L'autre jour, nous n'en avons pas fait assez. Nous aurions dû foutre Montsou par terre,<br />
jusqu'à la dernière brique. Et, tu ne sais pas je n'ai qu'un regret, c'est de n'avoir pas<br />
laissé le vieux étrangler la fille de la Piolaine... On laisse bien la faim étrangler mes<br />
petits, à moi!<br />
Ses paroles tombaient <strong>com</strong>me des coups de hache, dans la nuit. L'horizon fermé<br />
n'avait pas voulu s'ouvrir, l'idéal impossible tournait en poison, au fond de ce crâne<br />
fêlé par la douleur.<br />
- Vous m'avez mal <strong>com</strong>pris, put encore dire Etienne, qui battait en retraite. On<br />
devrait arriver à une entente avec la Compagnie: je sais que les puits souffrent<br />
beaucoup, sans doute elle consentirait à un arrangement.<br />
- Non, rien du tout! hurla-t-elle.<br />
Justement, Lénore et Henri, qui rentraient, arrivaient les mains vides. Un monsieur<br />
leur avait bien donné deux sous; mais, <strong>com</strong>me la soeur allongeait toujours des coups<br />
de pied au petit frère, les deux sous étaient tombés dans la neige; et, Jeanlin s'étant<br />
mis à les chercher avec eux, on ne les avait plus retrouvés.<br />
- Où est-il, Jeanlin<br />
- Maman, il a filé, il a dit qu'il avait des affaires.<br />
Etienne écoutait, le coeur fendu. Jadis, elle menaçait de les tuer, s'ils tendaient<br />
jamais la main. Aujourd'hui, elle les envoyait elle-même sur les routes, elle parlait d'y<br />
aller tous, les dix mille charbonniers de Montsou, prenant le bâton et la besace des<br />
vieux pauvres, battant le pays épouvanté.<br />
Alors, l'angoisse grandit encore, dans la pièce noire. Les mioches rentraient avec la<br />
faim, ils voulaient manger, pourquoi ne mangeait-on pas et ils grognèrent, se<br />
traînèrent, finirent par écraser les pieds de leur soeur mourante, qui eut un<br />
gémissement. Hors d'elle, la mère les gifla, au hasard des ténèbres. Puis, <strong>com</strong>me ils<br />
criaient plus fort en demandant du pain, elle fondit en larmes, tomba assise sur le<br />
carreau, les saisit d'une seule étreinte, eux et la petite infirme; et, longuement, ses<br />
pleurs coulèrent, dans une détente nerveuse qui la laissait molle, anéantie, bégayant à<br />
vingt reprises la même phrase, appelant la mort: "Mon Dieu, pourquoi ne nous<br />
prenez-vous pas mon Dieu, prenez-nous par pitié, pour en finir!" Le grand-père<br />
gardait son immobilité de vieil arbre tordu sous la pluie et le vent, tandis que le père<br />
marchait de la cheminée au buffet, sans tourner la tête.<br />
Mais la porte s'ouvrit, et cette fois c'était le docteur Vanderhaghen.<br />
- Diable! dit-il, la chandelle ne vous abîmera pas la vue... Dépêchons, je suis pressé.<br />
Ainsi qu'à l'ordinaire, il grondait, éreinté de besogne. Il avait heureusement des<br />
allumettes, le père dut en enflammer six, une à une, et les tenir, pour qu'il pût<br />
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