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GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com

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pas permis de prendre la défense des abominables brigands en train de déshonorer la<br />

région Il trouvait des excuses aux scélératesses des grévistes, il attaquait<br />

violemment la bourgeoisie, sur laquelle il rejetait toutes les responsabilités. C'était la<br />

bourgeoisie qui, en dépossédant l'Eglise de ses libertés antiques pour en mésuser ellemême,<br />

avait fait de ce monde un lieu maudit d'injustice et de souffrance; c'était elle<br />

qui prolongeait les malentendus, qui poussait à une catastrophe effroyable, par son<br />

athéisme, par son refus d'en revenir aux croyances, aux traditions fraternelles des<br />

premiers chrétiens. Et il avait osé menacer les riches, il les avait avertis que, s'ils<br />

s'entêtaient davantage à ne pas écouter la voix de Dieu, sûrement Dieu se mettrait du<br />

côté des pauvres: il reprendrait leurs fortunes aux jouisseurs incrédules, il les<br />

distribuerait aux humbles de la terre, pour le triomphe de sa gloire. Les dévotes en<br />

tremblaient, le notaire déclarait qu'il y avait là du pire socialisme, tous voyaient le curé<br />

à la tête d'une bande, brandissant une croix, démolissant la société bourgeoise de 89,<br />

à grands coups.<br />

M. Hennebeau, averti, se contenta de dire, avec un haussement d'épaules:<br />

- S'il nous ennuie trop, l'évêque nous en débarrassera.<br />

Et, pendant que la panique soufflait ainsi d'un bout à l'autre de la plaine, Etienne<br />

habitait sous terre, au fond de Réquillart, le terrier à Jeanlin. C'était là qu'il se cachait,<br />

personne ne le croyait si proche, l'audace tranquille de ce refuge, dans la mine même,<br />

dans cette voie abandonnée du vieux puits, avait déjoué les recherches. En haut, les<br />

prunelliers et les aubépines, poussés parmi les charpentes abattues du beffroi,<br />

bouchaient le trou; on ne s'y risquait plus, il fallait connaître la manoeuvre, se pendre<br />

aux racines du sorbier, se laisser tomber sans peur, pour atteindre les échelons solides<br />

encore; et d'autres obstacles le protégeaient, la chaleur suffocante du goyot, cent<br />

vingt mètres d'une descente dangereuse, puis le pénible glissement à plat ventre, d'un<br />

quart de lieue, entre les parois resserrées de la galerie, avant de découvrir la caverne<br />

scélérate, emplie de rapines. Il y vivait au milieu de l'abondance, il y avait trouvé du<br />

genièvre, le reste de la morue sèche, des provisions de toutes sortes. Le grand lit de<br />

foin était excellent, on ne sentait pas un courant d'air, dans cette température égale,<br />

d'une tiédeur de bain. Seule, la lumière menaçait de manquer. Jeanlin qui s'était fait<br />

son pourvoyeur, avec une prudence et une discrétion de sauvage ravi de se moquer<br />

des gendarmes, lui apportait jusqu'à de la pommade, mais ne pouvait arriver à mettre<br />

la main sur un paquet de chandelles.<br />

Dès le cinquième jour, Etienne n'alluma plus que pour manger. Les morceaux ne<br />

passaient pas, lorsqu'il les avalait dans la nuit. Cette nuit interminable, <strong>com</strong>plète,<br />

toujours du même noir, était sa grande souffrance. Il avait beau dormir en sûreté, être<br />

pourvu de pain, avoir chaud, jamais la nuit n'avait pesé si lourdement à son crâne.<br />

Elle lui semblait être <strong>com</strong>me l'écrasement même de ses pensées. Maintenant, voilà<br />

qu'il vivait de vols! Malgré ses théories <strong>com</strong>munistes, les vieux scrupules d'éducation<br />

se soulevaient, il se contentait de pain sec, rognait sa portion. Mais <strong>com</strong>ment faire il<br />

fallait bien vivre, sa tâche n'était pas remplie. Une autre honte l'accablait, le remords<br />

de cette ivresse sauvage, du genièvre bu dans le grand froid, l'estomac vide, et qui<br />

l'avait jeté sur Chaval, armé d'un couteau. Cela remuait en lui tout un inconnu<br />

d'épouvante, le mal héréditaire, la longue hérédité de soûlerie, ne tolérant plus une<br />

goutte d'alcool sans tomber à la fureur homicide. Finirait-il donc en assassin Lorsqu'il<br />

s'était trouvé à l'abri, dans ce calme profond de la terre, pris d'une satiété de violence,<br />

il avait dormi deux jours d'un sommeil de brute, gorgée, assommée; et l'écoeurement<br />

persistait, il vivait moulu, la bouche amère, la tête malade, <strong>com</strong>me à la suite de<br />

quelque terrible noce. Une semaine s'écoula; les Maheu, avertis, ne purent envoyer<br />

une chandelle: il fallut renoncer à voir clair, même pour manger.<br />

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