GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com
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- Ah! çà, est-ce que tu dors reprit violemment.<br />
Chaval, dès qu'il cessa d'entendre remuer Catherine. Qui est-ce qui m'a fichu une<br />
rosse de cette espèce Veux-tu bien emplir ta berline et rouler!<br />
Elle était au bas de la taille, appuyée sur sa pelle; et un malaise l'envahissait,<br />
pendant qu'elle les regardait tous d'un air imbécile, sans obéir. Elle les voyait mal, à la<br />
lueur rougeâtre des lampes, entièrement nus <strong>com</strong>me des bêtes, si noirs, si encrassés<br />
de sueur et de charbon, que leur nudité ne la gênait pas. C'était une besogne obscure,<br />
des échines de singe qui se tendaient, une vision infernale de membres roussis,<br />
s'épuisant au milieu de coups sourds et de gémissements. Mais eux la distinguaient<br />
mieux sans doute, car les rivelaines s'arrêtèrent de taper, et ils la plaisantèrent d'avoir<br />
ôté sa culotte.<br />
- Eh! tu vas l'enrhumer, méfie-toi!<br />
- C'est qu'elle a de vraies jambes! Dis donc, Chaval, y en a pour deux!<br />
- Oh! faudrait voir. Relève ça. Plus haut! plus haut!<br />
Alors, Chaval, sans se fâcher de ces rires, retomba sur elle.<br />
- Ca y est-il, nom de Dieu!... Ah! pour les saletés, elle est bonne. Elle resterait là, à<br />
en entendre jusqu'à demain.<br />
Péniblement, Catherine s'était décidée à emplir sa berline; puis, elle la poussa. La<br />
galerie était trop large pour qu'elle pût s'arc- bouter aux deux côtés des bois, ses<br />
pieds nus se tordaient dans les rails, où ils cherchaient un point d'appui, pendant<br />
qu'elle filait avec lenteur, les bras raidis en avant, la taille cassée. Et, dès qu'elle<br />
longeait le corroi, le supplice du feu re<strong>com</strong>mençait, la sueur tombait aussitôt de tout<br />
son corps, en gouttes énormes, <strong>com</strong>me une pluie d'orage.<br />
A peine au tiers du relais, elle ruissela, aveuglée, souillée elle aussi d'une boue noire.<br />
Sa chemise étroite, <strong>com</strong>me trempée d'encre, collait à sa peau, lui remontait jusqu'aux<br />
reins dans le mouvement des cuisses; et elle en était si douloureusement bridée, qu'il<br />
lui fallut lâcher encore la besogne.<br />
Qu'avait-elle donc, ce jour-là Jamais elle ne s'était senti ainsi du coton dans les os.<br />
Ca devait être un mauvais air. L'aérage ne se faisait pas, au fond de cette voie<br />
éloignée. On y respirait toutes sortes de vapeurs qui sortaient du charbon avec un<br />
petit bruit bouillonnant de source, si abondantes parfois, que les lampes refusaient de<br />
brûler; sans parler du grisou, dont on ne s'occupait plus, tant la veine en soufflait au<br />
nez des ouvriers, d'un bout de la quinzaine à l'autre. Elle le connaissait bien, ce<br />
mauvais air, cet air mort <strong>com</strong>me disent les mineurs, en bas de lourds gaz d'asphyxie,<br />
en haut des gaz légers qui s'allument et foudroient tous les chantiers d'une fosse, des<br />
centaines d'hommes, dans un seul coup de tonnerre. Depuis son enfance, elle en avait<br />
tellement avalé, qu'elle s'étonnait de la supporter si mal, les oreilles bourdonnantes, la<br />
gorge en feu.<br />
N'en pouvant, plus, elle éprouva un besoin d'ôter sa chemise. Cela tournait à la<br />
torture, ce linge dont les moindres plis la coupaient, la brûlaient. Elle résista, voulut<br />
rouler encore, fut forcée de se remettre debout. Alors, vivement, en se disant qu'elle<br />
se couvrirait au relais, elle enleva tout, la corde, la chemise, si fiévreuse, qu'elle aurait<br />
arraché la peau, si elle avait pu. Et, nue maintenant, pitoyable, ravalée au trot de la<br />
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