GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com
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n'a pas autant à perdre que vous, dans la crise actuelle Elle n'est pas la maîtresse du<br />
salaire, elle obéit à la concurrence, sous peine de ruine. Prenez-vous en aux faits, et<br />
non à elle... Mais vous ne voulez pas entendre, vous ne voulez pas <strong>com</strong>prendre!<br />
- Si, dit le jeune homme, nous <strong>com</strong>prenons très bien qu'il n'y a pas d'amélioration<br />
possible pour nous, tant que les choses iront <strong>com</strong>me elles vont, et c'est même à cause<br />
de ça que les ouvriers finiront, un jour ou l'autre, par s'arranger de façon à ce qu'elles<br />
aillent autrement.<br />
Cette parole, si modérée de forme, fut prononcée à demi-voix, avec une telle<br />
conviction, tremblante de menace, qu'il se fit un grand silence. Une gêne, un souffle<br />
de peur passa dans le recueillement du salon. Les autres délégués, qui <strong>com</strong>prenaient<br />
mal, sentaient pourtant que le camarade venait de réclamer leur part, au milieu de ce<br />
bien- être; et ils re<strong>com</strong>mençaient à jeter des regards obliques sur les tentures<br />
chaudes, sur les sièges confortables, sur tout ce luxe dont la moindre babiole aurait<br />
payé leur soupe pendant un mois.<br />
Enfin, M. Hennebeau, qui était resté pensif, se leva, pour les congédier. Tous<br />
l'imitèrent. Etienne, légèrement, avait poussé le coude de Maheu; et celui-ci reprit, la<br />
langue déjà empâtée et maladroite:<br />
- Alors, Monsieur, c'est tout ce que vous répondez... Nous allons dire aux autres que<br />
vous repoussez nos conditions.<br />
- Moi, mon brave, s'écria le directeur, mais je ne repousse rien!... Je suis un salarié<br />
<strong>com</strong>me vous, je n'ai pas plus de volonté ici que le dernier de vos galibots. On me<br />
donne des ordres, et mon seul rôle est de veiller à leur bonne exécution. Je vous ai dit<br />
ce que j'ai cru devoir vous dire, mais je me garderais bien de décider... Vous<br />
m'apporterez vos exigences, je les ferai connaître à la Régie, puis je vous transmettrai<br />
la réponse.<br />
Il parlait de son air correct de haut fonctionnaire, évitant de se passionner dans les<br />
questions, d'une sécheresse courtoise de simple instrument d'autorité. Et les mineurs,<br />
maintenant, le regardaient avec défiance, se demandaient d'où il venait, quel intérêt il<br />
pouvait avoir à mentir, ce qu'il devait voler, en se mettant ainsi entre eux et les vrais<br />
patrons. Un intrigant peut-être, un homme qu'on payait <strong>com</strong>me un ouvrier, et qui<br />
vivait si bien!<br />
Etienne osa de nouveau intervenir.<br />
- Voyez donc, monsieur le directeur, <strong>com</strong>me il est regrettable que nous ne puissions<br />
plaider notre cause en personne. Nous expliquerions beaucoup de choses, nous<br />
trouverions des raisons qui vous échappent forcément... Si nous savions seulement où<br />
nous adresser!<br />
M. Hennebeau ne se fâcha point. Il eut même un sourire.<br />
- Ah! dame! cela se <strong>com</strong>plique, du moment où vous n'avez pas confiance en moi... Il<br />
faut aller là-bas.<br />
Les délégués avaient suivi son geste vague, sa main tendue vers une des fenêtres.<br />
Où était-ce, là-bas Paris sans doute. Mais ils ne le savaient pas au juste, cela se<br />
reculait dans un lointain terrifiant, dans une contrée inaccessible et religieuse, où<br />
trônait le dieu inconnu, accroupi au fond de son tabernacle. Jamais ils ne le verraient,<br />
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