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GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com

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camarades, barrés à leur tour, qui revenaient Un souffle ronflait au loin, ils ne<br />

s'expliquaient pas cette tempête qui se rapprochait, dans un éclaboussement d'écume.<br />

Et ils crièrent, quand ils virent une masse géante, blanchâtre, sortir de l'ombre et<br />

lutter pour les rejoindre, entre les boisages trop étroits, où elle s'écrasait.<br />

C'était Bataille. En partant de l'accrochage, il avait galopé le long des galeries noires,<br />

éperdument. Il semblait connaître son chemin, dans cette ville souterraine, qu'il<br />

habitait depuis onze années; et ses yeux voyaient clair, au fond de l'éternelle nuit où il<br />

avait vécu. Il galopait, il galopait, pliant la tête, ramassant les pieds, filant par ces<br />

boyaux minces de la terre, emplis de son grand corps. Les rues se succédaient, les<br />

carrefours ouvraient leur fourche, sans qu'il hésitât. Où allait-il là-bas peut-être, à<br />

cette vision de sa jeunesse, au moulin où il était né, sur le bord de la Scarpe, au<br />

souvenir confus du soleil, brûlant en l'air <strong>com</strong>me une grosse lampe. Il voulait vivre, sa<br />

mémoire de bête s'éveillait, l'envie de respirer encore de l'air des plaines le poussait<br />

droit devant lui, jusqu'à ce qu'il eût découvert le trou, la sortie sous le ciel chaud, dans<br />

la lumière. Et une révolte emportait sa résignation ancienne, cette fosse l'assassinait,<br />

après l'avoir aveuglé. L'eau qui le poursuivait, le fouettait aux cuisses, le mordait à la<br />

croupe. Mais à mesure qu'il s'enfonçait, les galeries devenaient plus étroites abaissant<br />

le toit, renflant le mur. Il galopait quand même, il s'écorchait, laissait aux boisages des<br />

lambeaux de ses membres. De toutes parts, la mine semblait se resserrer sur lui, pour<br />

le prendre et l'étouffer.<br />

Alors, Etienne et Catherine, <strong>com</strong>me il arrivait près d'eux, l'aperçurent qui s'étranglait<br />

entre les roches. Il avait buté, il s'était cassé les deux jambes de devant. D'un dernier<br />

effort, il se traîna quelques mètres; mais ses flancs ne passaient plus, il restait<br />

enveloppé, garrotté par la terre. Et sa tête saignante s'allongea, chercha encore une<br />

fente, de ses gros yeux troubles. L'eau le recouvrait rapidement, il se mit à hennir, du<br />

râle prolongé, atroce, dont les autres chevaux étaient morts déjà, dans l'écurie. Ce fut<br />

une agonie effroyable, cette vieille bête, fracassée, immobilisée, se débattant à cette<br />

profondeur, loin du jour. Son cri de détresse ne cessait pas, le flot noyait sa crinière,<br />

qu'il le poussait plus rauque, de sa bouche tendue et grande ouverte. Il y eut un<br />

dernier ronflement, le bruit sourd d'un tonneau qui s'emplit. Puis un grand silence<br />

tomba.<br />

- Ah! mon Dieu! emmène-moi, sanglotait Catherine Ah! mon Dieu! j'ai peur, je ne<br />

veux pas mourir. Emmène-moi! emmène-moi!<br />

Elle avait vu la mort. Le puits écroulé, la fosse inondée, rien ne lui avait soufflé à la<br />

face cette épouvante, cette clameur de Bataille agonisant. Et elle l'entendait toujours,<br />

ses oreilles en bourdonnaient, toute sa chair en frissonnait.<br />

- Emmène-moi! emmène-moi!<br />

Etienne l'avait saisie et l'emportait. D'ailleurs, il était grand temps, ils montèrent dans<br />

la cheminée, trempés jusqu'aux épaules. Lui, devait l'aider, car elle n'avait plus la<br />

force de s'accrocher aux bois. A trois reprises, il crut qu'elle lui échappait, qu'elle<br />

retombait dans la mer profonde, dont la marée grondait derrière eux. Cependant, ils<br />

purent respirer quelques minutes, quand ils eurent rencontré la première voie, libre<br />

encore. L'eau reparut, il fallut se hisser de nouveau. Et, durant des heures, cette<br />

montée continua, la crue les chassait de voie en voie, les obligeait à s'élever toujours.<br />

Dans la sixième, un répit les enfiévra d'espoir, il leur semblait que le niveau demeurait<br />

stationnaire. Mais une hausse plus forte se déclara, ils durent grimper à la septième,<br />

puis à la huitième. Une seule restait, et quand ils y furent, ils regardèrent<br />

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