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GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com

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oueux et noir, ivre de fatigue, il tombait par terre, on devait l'envelopper dans une<br />

couverture. Puis, chancelant encore, il s'y replongeait, et la lutte re<strong>com</strong>mençait, les<br />

grands coups sourds, les plaintes étouffées, un enragement victorieux de massacre. Le<br />

pis était que le charbon devenait dur, il cassa deux fois son outil, exaspéré de ne plus<br />

avancer si vite. Il souffrait aussi de la chaleur, une chaleur qui augmentait à chaque<br />

mètre d'avancement, insupportable au fond de cette trouée mince, où l'air ne pouvait<br />

circuler. Un ventilateur à bras fonctionnait bien, mais l'aérage s'établissait mal, on<br />

retira à trois reprises des haveurs évanouis, que l'asphyxie étranglait.<br />

Négrel vivait au fond. avec ses ouvriers. On lui descendait ses repas, il dormait<br />

parfois deux heures, sur une botte de paille, roulé dans un manteau. Ce qui soutenait<br />

les courages, c'était la supplication des misérables, là-bas, le rappel de plus en plus<br />

distinct qu'ils battaient pour qu'on se hâtât d'arriver. A présent, il sonnait très clair,<br />

avec une sonorité musicale, <strong>com</strong>me frappé sur les lames d'un harmonica. On se<br />

guidait grâce à lui, on marchait à ce bruit cristallin, ainsi qu'on marche au canon dans<br />

les batailles. Chaque fois qu'un haveur était relayé, Négrel descendait, tapait, puis<br />

collait son oreille; et, chaque fois, jusqu'à présent, la réponse était venue, rapide et<br />

pressante. Aucun doute ne lui restait, on avançait dans la bonne direction; mais quelle<br />

lenteur fatale! Jamais on n'arriverait assez tôt. En deux jours, d'abord, on avait bien<br />

abattu treize mètres; seulement, le troisième jour, on était tombé à cinq; puis le<br />

quatrième, à trois. La houille se serrait, durcissait à un tel point, que, maintenant, on<br />

fonçait de deux mètres, avec peine. Le neuvième jour, après des efforts surhumains,<br />

l'avancement était de trente-deux mètres, et l'on calculait qu'on en avait devant soi<br />

une vingtaine encore. Pour les prisonniers, c'était la douzième journée qui<br />

<strong>com</strong>mençait, douze fois vingt-quatre heures sans pain, sans feu, dans ces ténèbres<br />

glaciales! Cette abominable idée mouillait les paupières, raidissait les bras à la<br />

besogne. Il semblait impossible que des chrétiens vécussent davantage, les coups<br />

lointains s'affaiblissaient depuis la veille, on tremblait à chaque instant de les entendre<br />

s'arrêter.<br />

Régulièrement, la Maheude venait toujours s'asseoir à la bouche du puits. Elle<br />

amenait, entre ses bras, Estelle qui ne pouvait rester seule du matin au soir. Heure<br />

par heure, elle suivait ainsi le travail, partageait les espérances et les abattements.<br />

C'était, dans les groupes qui stationnaient, et jusqu'à Montsou, une attente fébrile, des<br />

<strong>com</strong>mentaires sans fin. Tous les coeurs du pays battaient là-bas, sous la terre.<br />

Le neuvième jour, à l'heure du déjeuner, Zacharie ne répondit pas, lorsqu'on l'appela<br />

pour le relais. Il était <strong>com</strong>me fou, il s'acharnait avec des jurons. Négrel, sorti un<br />

instant, ne put le faire obéir; et il n'y avait même là qu'un porion, avec trois mineurs.<br />

Sans doute, Zacharie, mal éclairé, furieux de cette lueur vacillante qui retardait sa<br />

besogne, <strong>com</strong>mit l'imprudence d'ouvrir sa lampe. On avait pourtant donné des ordres<br />

sévères, car des fuites de grisou s'étaient déclarées, le gaz séjournait en masse<br />

énorme, dans ces couloirs étroits, privés d'aérage. Brusquement, un coup de foudre<br />

éclata, une trombe de feu sortit du boyau, <strong>com</strong>me de la gueule d'un canon chargé à<br />

mitraille. Tout flambait, l'air s'enflammait ainsi que de la poudre, d'un bout à l'autre<br />

des galeries. Ce torrent de flamme emporta le porion et les trois ouvriers, remonta le<br />

puits, jaillit au grand jour en une éruption, qui crachait des roches et des débris de<br />

charpente. Les curieux s'enfuirent, la Maheude se leva, serrant contre sa gorge Estelle<br />

épouvantée.<br />

Lorsque Négrel et les ouvriers revinrent, une colère terrible les secoua. Ils frappaient<br />

la terre à coups de talon, <strong>com</strong>me une marâtre tuant au hasard ses enfants, dans les<br />

imbéciles caprices de sa cruauté. On se dévouait, on allait au secours de camarades,<br />

et il fallait encore y laisser des hommes! Après trois grandes heures d'efforts et de<br />

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