GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com
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d'homme, avec sa culotte boueuse. Elle devait être morte de fatigue, elle courait tout<br />
de même pourtant.<br />
- Tu peux t'en aller, toi, dit-il enfin.<br />
Catherine parut ne pas entendre. Ses yeux, en rencontrant ceux d'Etienne, avaient eu<br />
seulement une courte flamme de reproche. Et elle ne s'arrêtait point. Pourquoi voulaitil<br />
qu'elle abandonnât son homme Chaval n'était guère gentil, bien sûr; même il la<br />
battait, des fois. Mais c'était son homme, celui qui l'avait eue le premier; et cela<br />
l'enrageait qu'on se jetât à plus de mille contre lui. Elle l'aurait défendu, sans<br />
tendresse, pour l'orgueil.<br />
- Va-t'en! répéta violemment Maheu.<br />
Cet ordre de son père ralentit un instant sa course. Elle tremblait, des larmes<br />
gonflaient ses paupières. Puis, malgré sa peur, elle revint, elle reprit sa place, toujours<br />
courant. Alors, on la laissa.<br />
La bande traversa la route de Joiselle, suivit un instant celle de Cron, remonta ensuite<br />
vers Cougny. De ce côté, des cheminées d'usine rayaient l'horizon plat, des hangars<br />
de bois, des ateliers de briques, aux larges baies poussiéreuses, défilaient le long du<br />
pavé. On passa coup sur coup près des maisons basses de deux corons, celui des<br />
Cent- Quatre-Vingts, puis celui des Soixante-Seize; et, de chacun, à l'appel de la<br />
corne, à la clameur jetée par toutes les bouches, des familles sortirent, des hommes,<br />
des femmes, des enfants, galopant eux aussi, se joignant à la queue des camarades.<br />
Quand on arriva devant Madeleine, on était bien quinze cents. La route dévalait en<br />
pente douce, le flot grondant des grévistes dut tourner le terri, avant de se répandre<br />
sur le carreau de la mine.<br />
A ce moment, il n'était guère plus de deux heures. Mais les porions, avertis, venaient<br />
de hâter la remonte; et, <strong>com</strong>me la bande arrivait, la sortie s'achevait, il restait au fond<br />
une vingtaine d'hommes, qui débarquèrent de la cage. Ils s'enfuirent, on les poursuivit<br />
à coups de pierres. Deux furent battus, un autre y laissa une manche de sa veste.<br />
Cette chasse à l'homme sauva le matériel, on ne toucha ni aux câbles ni aux<br />
chaudières. Déjà le flot s'éloignait, roulait sur la fosse voisine.<br />
Celle-ci, Crèvecoeur, ne se trouvait qu'à cinq cents mètres de Madeleine. Là,<br />
également, la bande tomba au milieu de la sortie. Une herscheuse y fut prise et<br />
fouettée par les femmes, la culotte fendue, les fesses à l'air, devant les hommes qui<br />
riaient. Les galibots recevaient des gifles, des haveurs se sauvèrent, les côtes bleues<br />
de coups, le nez en sang. Et, dans cette férocité croissante, dans cet ancien besoin de<br />
revanche dont la folie détraquait toutes les têtes, les cris continuaient, s'étranglaient,<br />
la mort des traîtres, la haine du travail mal payé, le rugissement du ventre voulant du<br />
pain. On se mit à couper les câbles, mais la lime ne mordait pas, c'était trop long,<br />
maintenant qu'on avait la fièvre d'aller en avant, toujours en avant. Aux chaudières,<br />
un robinet fut cassé; tandis que l'eau, jetée à pleins seaux dans les foyers, faisait<br />
éclater les grilles de fonte.<br />
Dehors, on parla de marcher sur Saint-Thomas. Cette fosse était la mieux disciplinée,<br />
la grève ne l'avait pas atteinte, près de sept cents hommes devaient y être descendus;<br />
et cela exaspérait, on les attendrait à coups de trique, en bataille rangée, pour voir un<br />
peu qui resterait par terre. Mais la rumeur courut qu'il y avait des gendarmes à Saint-<br />
Thomas, les gendarmes du matin, dont on s'était moqué. Comment le savait-on<br />
personne ne pouvait le dire. N'importe! la peur les prenait, ils se décidèrent pour<br />
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