GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com
GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com
GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com
- No tags were found...
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
Alors, Catherine tâcha de rattraper des mots.<br />
- Maman, c'est du café et du sucre... Oui, pour les enfants... J'ai fait des heures, j'ai<br />
songé à eux...<br />
Elie tirait de ses poches une livre de café et une livre de sucre, qu'elle s'enhardit à<br />
poser sur la table. La grève du Voreux la tourmentait, tandis qu'elle travaillait à Jean-<br />
Bart, et elle n'avait trouvé que cette façon d'aider un peu ses parents, sous le prétexte<br />
de songer aux petits. Mais son bon coeur ne désarmait pas sa mère, qui répliqua:<br />
- Au lieu de nous apporter des douceurs, tu aurais mieux fait de rester à nous gagner<br />
du pain.<br />
Elle l'accabla, elle se soulagea, en lui jetant à la face tout ce qu'elle répétait contre<br />
elle, depuis un mois. Filer avec un homme, se coller à seize ans, lorsqu'on avait une<br />
famille dans le besoin! Il fallait être la dernière des filles dénaturées. On pouvait<br />
pardonner une bêtise, mais une mère n'oubliait jamais un pareil tour. Et encore si on<br />
l'avait tenue à l'attache! Pas du tout, elle était libre <strong>com</strong>me l'air, on lui demandait<br />
seulement de rentrer coucher.<br />
- Dis qu'est-ce que tu as dans la peau, à ton âge<br />
Catherine, immobile près de la table, écoutait, la tête basse. Un tressaillement agitait<br />
son maigre corps de fille tardive, et elle tâchait de répondre, en paroles entrecoupées.<br />
- Oh! s'il n'y avait que moi, pour ce que ça m'amuse!... C'est lui. Quand il veut, je<br />
suis bien forcée de vouloir, n'est-ce pas parce que, vois-tu, il est le plus fort... Est-ce<br />
qu'on sait <strong>com</strong>ment les choses tournent Enfin, c'est fait, et ce n'est pas à défaire, car<br />
autant lui qu'un autre, maintenant. Faut bien qu'il m'épouse.<br />
Elle se défendait sans révolte, avec la résignation passive des filles qui subissent le<br />
mâle de bonne heure. N'était-ce pas la loi <strong>com</strong>mune Jamais elle n'avait rêvé autre<br />
chose, une violence derrière le terri, un enfant à seize ans, puis la misère dans le<br />
ménage, si son galant l'épousait. Et elle ne rougissait de honte, elle ne tremblait ainsi,<br />
que bouleversée d'être traitée en gueuse devant ce garçon, dont la présence<br />
l'oppressait et la désespérait.<br />
Etienne, cependant, s'était levé, en affectant de secouer le feu à demi éteint, pour ne<br />
pas gêner l'explication, Mais leurs regards se rencontrèrent, il la trouvait pâle,<br />
éreintée, jolie quand même avec ses yeux si clairs, dans sa face qui se tannait; et il<br />
éprouva un singulier sentiment, sa rancune était partie, il aurait simplement voulu<br />
qu'elle fût heureuse, chez cet homme qu'elle lui avait préféré. C'était un besoin de<br />
s'occuper d'elle encore, une envie d'aller à Montsou forcer l'autre à des égards. Mais<br />
elle ne vit que de la pitié dans cette tendresse qui s'offrait toujours, il devait la<br />
mépriser pour la dévisager de la sorte. Alors, son coeur se serra tellement, qu'elle<br />
étrangla sans pouvoir bégayer d'autres paroles d'excuse.<br />
- C'est ça, tu fais mieux de te taire, reprit la Maheude implacable. Si tu reviens pour<br />
rester, entre; autrement, file tout de suite, et estime-toi heureuse que je sois<br />
embarrassée, car je t'aurais déjà fichu mon pied quelque part.<br />
Comme si, brusquement, cette menace se réalisait, Catherine reçut dans le derrière,<br />
à toute volée, un coup de pied dont la violence l'étourdit de surprise et de douleur.<br />
135