25.01.2015 Views

GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com

GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com

GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com

SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

des voix alarmées chuchotaient; et, lorsqu'il sortit, il vit s'ouvrir la porte de ses filles,<br />

qui toutes deux parurent, vêtues de peignoirs blancs, passés à la hâte.<br />

- Père, qu'y a-t-il<br />

L'aînée, Lucie, avait vingt-deux ans déjà, grande, brune, l'air superbe; tandis que<br />

Jeanne, la cadette, âgée de dix-neuf ans à peine, était petite, les cheveux dorés, d'une<br />

grâce caressante.<br />

- Rien de grave, répondit-il pour les rassurer. Il paraît que des tapageurs font du<br />

bruit, là-bas. Je vais voir.<br />

Mais elles se récrièrent, elles ne voulaient pas le laisser partir sans qu'il prît quelque<br />

chose de chaud. Autrement, il leur rentrerait malade, l'estomac délabré, <strong>com</strong>me<br />

toujours Lui, se débattait, donnait sa parole d'honneur qu'il était trop pressé.<br />

- Ecoute, finit par dire Jeanne en se penchant à son cou, tu vas boire un petit verre<br />

de rhum et manger deux biscuits; ou je reste <strong>com</strong>me ça, tu es obligé de m'emporter<br />

avec toi.<br />

Il dut se résigner, en jurant que les biscuits l'étoufferaient. Déjà, elles descendaient<br />

devant lui, chacune avec son bougeoir. En bas, dans la salle à manger, elles<br />

s'empressèrent de le servir, l'une versant le rhum, l'autre courant à l'office chercher<br />

un paquet de biscuits. Ayant perdu leur mère très jeunes, elles s'étaient élevées<br />

toutes seules, assez mal, gâtées par leur père, l'aînée hantée du rêve de chanter sur<br />

les théâtres, la cadette folle de peinture, d'une hardiesse de goût qui la singularisait.<br />

Mais, lorsque le train avait dû être diminué, à la suite de gros embarras d'affaires, il<br />

était brusquement poussé, chez ces filles d'air extravagant, des ménagères très sages<br />

et très rusées, dont l'oeil découvrait les erreurs de centimes, dans les <strong>com</strong>ptes.<br />

Aujourd'hui, avec leurs allures garçonnières d'artistes, elles tenaient la bourse,<br />

rognaient sur les sous, querellaient les fournisseurs, retapaient sans cesse leurs<br />

toilettes, arrivaient enfin à rendre décente la gêne croissante de la maison.<br />

- Mange, papa, répétait Lucie.<br />

Puis, remarquant la préoccupation où il retombait, silencieux, assombri, elle fut<br />

reprise de peur.<br />

- C'est donc grave, que tu nous fais cette grimace... Dis donc, nous restons avec toi,<br />

on se passera de nous à ce déjeuner.<br />

Elle parlait d'une partie projetée pour le matin. Mme Hennebeau devait aller, avec sa<br />

calèche, chercher d'abord Cécile, chez les Grégoire; ensuite, elle viendrait les prendre,<br />

et l'on irait toutes à Marchiennes, déjeuner aux Forges, où la femme du directeur les<br />

avait invitées. C'était une occasion pour visiter les ateliers, les hauts fourneaux et les<br />

fours à coke.<br />

- Bien sûr, nous restons, déclara Jeanne à son tour. Mais il se fâchait.<br />

- En voilà une idée! Je vous répète que ce n'est rien... Faites- moi le plaisir de vous<br />

refourrer dans vos lits, et habillez-vous pour neuf heures, <strong>com</strong>me c'est convenu.<br />

Il les embrassa, il se hâta de partir. On entendit le bruit de ses bottes qui se perdait<br />

sur la terre gelée du jardin.<br />

173

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!