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GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com

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- Hein! criait-elle gaiement, est-ce une chance que j'aie appuyé la tête!<br />

- Oh! tu as une oreille! disait-il à son tour. Moi, je n'entendais rien.<br />

Dès ce moment, ils se relayèrent, toujours l'un d'eux écoutait, prêt à correspondre,<br />

au moindre signal. Ils saisirent bientôt des coups de rivelaine: on <strong>com</strong>mençait les<br />

travaux d'approche, on ouvrait une galerie. Pas un bruit ne leur échappait. Mais leur<br />

joie tomba. Ils avaient beau rire, pour se tromper l'un l'autre, le désespoir les<br />

reprenait peu à peu. D'abord, ils s'étaient répandus en explications: on arrivait<br />

évidemment par Réquillart, la galerie descendait dans la couche, peut-être en ouvraiton<br />

plusieurs, car il y avait trois hommes à l'abattage. Puis ils parlèrent moins, ils<br />

finirent par se taire, quand ils en vinrent à calculer la masse énorme qui les séparait<br />

des camarades. Muets, ils continuaient leurs réflexions, ils <strong>com</strong>ptaient les journées et<br />

les journées qu'un ouvrier mettrait à percer un tel bloc. Jamais on ne les rejoindrait<br />

assez tôt, ils seraient morts vingt fois. Et mornes, n'osant plus échanger une parole<br />

dans ce redoublement d'angoisse, ils répondaient aux appels d'un roulement de<br />

sabots, sans espoir, en ne gardant que le besoin machinal de dire aux autres qu'ils<br />

vivaient encore.<br />

Un jour, deux jours, se passèrent. Ils étaient au fond depuis six jours. L'eau, arrêtée<br />

à leurs genoux, ne montait ni ne descendait; et leurs jambes semblaient fondre, dans<br />

ce bain de glace. Pendant une heure, ils pouvaient bien les retirer; mais la position<br />

devenait alors si in<strong>com</strong>mode, qu'ils étaient tordus de crampes atroces et qu'ils<br />

devaient laisser retomber les talons. Toutes les dix minutes, ils se remontaient d'un<br />

coup de reins, sur la roche glissante. Les cassures du charbon leur défonçaient<br />

l'échine, ils éprouvaient à la nuque une douleur fixe et intense, d'avoir à la tenir<br />

ployée constamment, pour ne pas se briser le crâne. Et l'étouffement croissait, l'air<br />

refoulé par l'eau se <strong>com</strong>primait dans l'espèce de cloche où ils se trouvaient enfermés.<br />

Leur voix, assourdie, paraissait venir de très loin. Des bourdonnements d'oreilles se<br />

déclarèrent, ils entendaient les volées d'un tocsin furieux, le galop d'un troupeau sous<br />

une averse de grêle, interminable.<br />

D'abord, Catherine souffrit horriblement de la faim. Elle portait à sa gorge ses<br />

pauvres mains crispées, elle avait de grands souffles creux, une plainte continue,<br />

déchirante, <strong>com</strong>me si une tenaille lui eût arraché l'estomac. Etienne, étranglé par la<br />

même torture, tâtonnait fiévreusement dans l'obscurité, lorsque, près de lui, ses<br />

doigts rencontrèrent une pièce du boisage, à moitié pourrie, que ses ongles<br />

émiettaient. Et il en donna une poignée à la herscheuse, qui l'engloutit goulûment.<br />

Durant deux journées, ils vécurent de ce bois vermoulu, ils le dévorèrent tout entier,<br />

désespérés de l'avoir fini, s'écorchant à vouloir entamer les autres, solides encore, et<br />

dont les fibres résistaient. Leur supplice augmenta, ils s'enrageaient de ne pouvoir<br />

mâcher la toile de leurs vêtements. Une ceinture de cuir qui le serrait à la taille les<br />

soulagea un peu. Il en coupa de petits morceaux avec les dents, et elle les broyait,<br />

s'acharnait à les avaler. Cela occupait leurs mâchoires, leur donnait l'illusion qu'ils<br />

mangeaient. Puis, quand la ceinture fut achevée, ils se remirent à la toile, la suçant<br />

pendant des heures.<br />

Mais, bientôt, ces crises violentes se calmèrent, la faim ne fut plus qu'une douleur<br />

profonde, sourde, l'évanouissement même, lent et progressif, de leurs forces. Sans<br />

doute, ils auraient suc<strong>com</strong>bé, s'ils n'avaient pas eu de l'eau, tant qu'ils en voulaient.<br />

Ils se baissaient simplement, buvaient dans le creux de leur main; et cela à vingt<br />

reprises, brûlés d'une telle soif, que toute cette eau ne pouvait l'étancher.<br />

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