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GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com

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<strong>com</strong>plaisants, assez pratiques pour accepter, dans leur famille, la table, le lit et la<br />

femme<br />

On gratta timidement à la porte, la voix d'Hippolyte se permit de souffler par le trou<br />

de la serrure:<br />

- Monsieur, le courrier... Et il y a aussi monsieur Dansaert qui est revenu, en disant<br />

qu'on s'égorge...<br />

- Je descends, nom de Dieu!<br />

Qu'allait-il leur faire les chasser à leur retour de Marchiennes, <strong>com</strong>me des bêtes<br />

puantes dont il ne voulait plus sous son toit. Il prendrait une trique, il leur crierait de<br />

porter ailleurs le poison de leur accouplement. C'était de leurs soupirs, de leurs<br />

haleines confondues, dont s'alourdissait la tiédeur moite de cette chambre; l'odeur<br />

pénétrante qui l'avait suffoqué, c'était l'odeur de musc que la peau de sa femme<br />

exhalait, un autre goût pervers, un besoin charnel de parfums violents ; et il retrouvait<br />

ainsi la chaleur, l'odeur de la fornication, l'adultère vivant, dans les pots qui traînaient,<br />

dans les cuvettes encore pleines, dans le désordre des linges, des meubles, de la pièce<br />

entière, empestée de vice. Une fureur d'impuissance le jeta sur le lit à coups de poing,<br />

et il le massacra, et il laboura les places où il voyait l'empreinte de leurs deux corps,<br />

enragé des couvertures arrachées, des draps froissés, mous et inertes sous ses coups,<br />

<strong>com</strong>me éreintés eux-mêmes des amours de toute la nuit.<br />

Mais, brusquement, il crut entendre Hippolyte remonter. Une honte l'arrêta. Il resta<br />

un instant encore, haletant, à s'essuyer le front, à calmer les bonds de son coeur.<br />

Debout, devant une glace, il contemplait son visage, si dé<strong>com</strong>posé, qu'il ne le<br />

reconnaissait pas. Puis, quand il l'eut regardé s'apaiser peu à peu, par un effort de<br />

volonté suprême, il descendit.<br />

En bas, cinq messagers étaient debout, sans <strong>com</strong>pter Dansaert. Tous lui apportaient<br />

des nouvelles d'une gravité croissante sur la marche des grévistes à travers les<br />

fosses; et le maître-porion lui conta longuement ce qui s'était passé à Mirou, sauvé<br />

par la belle conduite du père Quandieu. Il écoutait, hochait la tête; mais il n'entendait<br />

pas, son esprit était demeuré là-haut, dans la chambre. Enfin, il les congédia, il dit<br />

qu'il allait prendre des mesures. Lorsqu'il se retrouva seul, assis devant son bureau, il<br />

parut s'y assoupir, la tête entre les mains, les yeux ouverts. Son courrier était là, il se<br />

décida à y chercher la lettre attendue, la réponse de la Régie, dont les lignes<br />

dansèrent d'abord. Pourtant, il finit par <strong>com</strong>prendre que ces messieurs souhaitaient<br />

quelque bagarre: certes, ils ne lui <strong>com</strong>mandaient pas d'empirer les choses; mais ils<br />

laissaient percer que des troubles hâteraient le dénouement de la grève, en<br />

provoquant une répression énergique. Dès lors, il n'hésita plus, il lança des dépêches<br />

de tous côtés, au préfet de Lille, au corps de troupe de Douai, à la gendarmerie de<br />

Marchiennes. C'était un soulagement, il n'avait qu'à s'enfermer, même il fit répandre<br />

la rumeur qu'il souffrait de la goutte. Et, toute l'après-midi, il se cacha au fond de son<br />

cabinet, ne recevant personne, se contentant de lire les dépêches et les lettres qui<br />

continuaient de pleuvoir. Il suivit ainsi de loin la bande, de Madeleine à Crèvecoeur, de<br />

Crèvecoeur à la Victoire, de la Victoire à Gaston-Marie. D'autre part, des<br />

renseignements lui arrivaient sur l'effarement des gendarmes et des dragons, égarés<br />

en route, tournant sans cesse le dos aux fosses attaquées. On pouvait s'égorger et<br />

tout détruire, il avait remis la tête entre ses mains, les doigts sur les yeux, et il<br />

s'abîmait dans le grand silence de la maison vide, où il ne surprenait, par moments,<br />

que le bruit des casseroles de la cuisinière, en plein coup de feu, pour son dîner du<br />

soir.<br />

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