GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com
GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com
GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com
- No tags were found...
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
même avait sombré, il n'était nulle part, hors de l'espace, hors du temps. Quelque<br />
chose tapait bien à côté de sa tête, des coups dont la violence se rapprochait; mais il<br />
avait eu d'abord la paresse d'aller répondre, engourdi d'une fatigue immense; et, à<br />
présent, il ne savait plus, il rêvait seulement qu'elle marchait devant lui et qu'il<br />
entendait le léger claquement de ses sabots. Deux jours se passèrent, elle n'avait pas<br />
remué, il la touchait de son geste machinal, rassuré de la sentir si tranquille.<br />
Etienne ressentit une secousse. Des voix grondaient, des roches roulaient jusqu'à ses<br />
pieds. Quand il aperçut une lampe, il pleura. Ses yeux clignotants suivaient la lumière,<br />
il ne se lassait pas de la voir, en extase devant ce point rougeâtre qui tachait à peine<br />
les ténèbres. Mais des camarades l'emportaient, il les laissa introduire, entre ses dents<br />
serrées, des cuillerées de bouillon. Ce fut seulement dans la galerie de Réquillart qu'il<br />
reconnut quelqu'un, l'ingénieur Négrel, debout devant lui; et ces deux hommes qui se<br />
méprisaient, l'ouvrier révolté, le chef sceptique, se jetèrent au cou l'un de l'autre,<br />
sanglotèrent à grands sanglots, dans le bouleversement profond de toute l'humanité<br />
qui était en eux. C'était une tristesse immense, la misère des générations, l'excès de<br />
douleur où peut tomber la vie.<br />
Au jour, la Maheude, abattue près de Catherine morte, jeta un cri, puis un autre, puis<br />
un autre, de grandes plaintes très longues, incessantes. Plusieurs cadavres étaient<br />
déjà remontés et alignés par terre: Chaval que l'on crut assommé sous un<br />
éboulement, un galibot et deux haveurs également fracassés, le crâne vide de<br />
cervelle, le ventre gonflé d'eau. Des femmes, dans la foule, perdaient la raison,<br />
déchiraient leurs jupes, s'égratignaient la face. Lorsqu'on le sortit enfin, après l'avoir<br />
habitué aux lampes et nourri un peu, Etienne apparut décharné, les cheveux tout<br />
blancs; et on s'écartait, on frémissait devant ce vieillard. La Maheude s'arrêta de crier,<br />
pour le regarder stupidement, de ses grands yeux fixes.<br />
VII, VI<br />
Il était quatre heures du matin. La fraîche nuit d'avril s'attiédissait de l'approche du<br />
jour. Dans le ciel limpide, les étoiles vacillaient, tandis qu'une clarté d'aurore<br />
empourprait l'orient. Et la campagne noire, assoupie, avait à peine un frisson, cette<br />
vague rumeur qui précède le réveil.<br />
Etienne, à longues enjambées, suivait le chemin de Vandame. Il venait de passer six<br />
semaines à Montsou, dans un lit de l'hôpital. Jaune encore et très maigre, il s'était<br />
senti la force de partir, et il partait. La Compagnie, tremblant toujours pour ses fosses,<br />
procédant à des renvois successifs, l'avait averti qu'elle ne pourrait le garder. Elle lui<br />
offrait d'ailleurs un secours de cent francs, avec le conseil paternel de quitter le travail<br />
des mines, trop dur pour lui désormais. Mais il avait refusé les cent francs. Déjà, une<br />
réponse de Pluchart, une lettre où se trouvait l'argent du voyage, l'appelait à Paris.<br />
C'était son ancien rêve réalisé. La veille, en sortant de l'hôpital, il avait couché au Bon-<br />
Joyeux, chez la veuve Désir. Et il se levait de grand matin, une seule envie lui restait,<br />
dire adieu aux camarades, avant d'aller prendre le train de huit heures, à<br />
Marchiennes.<br />
Un instant, sur le chemin qui devenait rose, Etienne s'arrêta. Il faisait bon respirer cet<br />
air si pur du printemps précoce. La matinée s'annonçait superbe. Lentement, le jour<br />
grandissait, la vie de la terre montait avec le soleil. Et il se remit en marche, tapant<br />
fortement son bâton de cornouiller, regardant au loin la plaine sortir des vapeurs de la<br />
nuit. Il n'avait revu personne, la Maheude était venue une seule fois à l'hôpital, puis<br />
301