GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com
GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com
GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com
- No tags were found...
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
surprenait derrière les fermes. Cela fut si rapide, qu'il y eut seulement dans la nuit un<br />
cri étouffé, pendant que le fusil tombait avec un bruit de ferraille. Déjà, la lune, très<br />
blanche, luisait.<br />
Immobile de stupeur, Etienne regardait toujours. L'appel s'étranglait au fond de sa<br />
poitrine. En haut, le terri était vide, aucune ombre ne se détachait plus sur la fuite<br />
effarée des nuages. Et il monta au pas de course, il trouva Jeanlin à quatre pattes,<br />
devant le cadavre, étalé en arrière, les bras élargis. Dans la neige, sous la clarté<br />
limpide, le pantalon rouge et la capote grise tranchaient durement. Pas une goutte de<br />
sang n'avait coulé, le couteau était encore dans la gorge, jusqu'au manche.<br />
D'un coup de poing, irraisonné, furieux, il abattit l'enfant près du corps.<br />
- Pourquoi as-tu fait ça bégayait-il éperdu.<br />
Jeanlin se ramassa, se traîna sur les mains, avec le renflement félin de sa maigre<br />
échine; et ses larges oreilles, ses yeux verts, ses mâchoires saillantes, frémissaient et<br />
flambaient, dans la secousse de son mauvais coup.<br />
- Nom de Dieu! pourquoi as-tu fait ça<br />
- Je ne sais pas, j'en avais envie.<br />
Il se buta à cette réponse. Depuis trois jours, il en avait envie. Ca le tourmentait, la<br />
tête lui en faisait du mal, là, derrière les oreilles, tellement il y pensait. Est-ce qu'on<br />
avait à se gêner, avec ces cochons de soldats qui embêtaient les charbonniers chez<br />
eux Des discours violents dans la forêt, des cris de dévastation et de mort hurlés au<br />
travers des fosses, cinq ou six mots lui étaient restés, qu'il répétait en gamin jouant à<br />
la révolution. Et il n'en savait pas davantage, personne ne l'avait poussé, ça lui était<br />
venu tout seul, <strong>com</strong>me lui venait l'envie de voler des oignons dans un champ.<br />
Etienne, épouvanté de cette végétation sourde du crime au fond de ce crâne d'enfant,<br />
le chassa encore, d'un coup de pied, ainsi qu'une bête inconsciente. Il tremblait que le<br />
poste du Voreux n'eût entendu le cri étouffé de la sentinelle, il jetait un regard vers la<br />
fosse, chaque fois que la lune se découvrait. Mais rien n'avait bougé, et il se pencha, il<br />
tâta les mains peu à peu glacées, il écouta le coeur, arrêté sous la capote. On ne<br />
voyait, du couteau, que le manche d'os, où la devise galante, ce mot simple: "Amour",<br />
était gravée en lettres noires.<br />
Ses yeux allèrent de la gorge au visage. Brusquement, il reconnut le petit soldat:<br />
c'était Jules, la recrue, avec qui il avait causé, un matin. Et une grande pitié le saisit,<br />
en face de cette douce figure blonde, criblée de taches de rousseur. Les yeux bleus,<br />
largement ouverts, regardaient le ciel, de ce regard fixe dont il lui avait vu chercher à<br />
l'horizon le pays natal. Où se trouvait-il, ce Plogof, qui lui apparaissait dans un<br />
éblouissement de soleil Là-bas, là-bas. La mer hurlait au loin, par cette nuit<br />
d'ouragan. Ce vent qui passait si haut, avait peut-être soufflé sur la lande. Deux<br />
femmes étaient debout, la mère, la soeur, tenant leurs coiffes emportées, regardant,<br />
elles aussi, <strong>com</strong>me si elles avaient pu voir ce que faisait à cette heure le petit, au-delà<br />
des lieues qui les séparaient. Elles l'attendraient toujours, maintenant. Quelle<br />
abominable chose, de se tuer entre pauvres diables, pour les riches!<br />
Mais il fallait faire disparaître ce cadavre. Etienne songea d'abord à le jeter dans le<br />
canal. La certitude qu'on l'y trouverait, l'en détourna. Alors, son anxiété devint<br />
243