psychologie de l'identité _ soi et le groupe
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134 LE SOI À L’ÉPREUVE DU GROUPE<br />
ses sentiments ; c’était comme un bavardage qui montrait qu’il nous parlait<br />
mais qui ne transm<strong>et</strong>tait rien, qui m’ennuyait ; <strong>le</strong> ton même était<br />
superficiel, conventionnel. Au contraire quand Véronique a pris la paro<strong>le</strong>,<br />
tout <strong>de</strong> suite j’ai été attentif ; c’était peut-être l’émotion qui faisait vibrer<br />
sa voix <strong>et</strong> qui se marquait sur son visage ; ce qu’el<strong>le</strong> a dit d’el<strong>le</strong> était<br />
comme une mise à nu ; el<strong>le</strong> se montrait tel<strong>le</strong> qu’el<strong>le</strong> était, sans voi<strong>le</strong>, sans<br />
défense. Et l’émotion qui se dégageait <strong>de</strong> ce qu’el<strong>le</strong> disait m’a envahi d’un<br />
coup, m’a fait tremb<strong>le</strong>r <strong>et</strong> j’ai senti <strong>le</strong>s larmes qui me venaient aux<br />
yeux… »<br />
Mais sa paro<strong>le</strong>, comme son image, échappe pour une part au suj<strong>et</strong> ; ou<br />
plutôt il la perçoit <strong>de</strong> l’intérieur ; c’est ce qu’explique <strong>le</strong> sentiment d’étrang<strong>et</strong>é<br />
que l’on a souvent à entendre sa paro<strong>le</strong> enregistrée, car tout à coup on la<br />
reçoit comme une paro<strong>le</strong> extérieure, objectivée ; on ne la reconnaît pas, bien<br />
qu’on sache qu’el<strong>le</strong> est sienne ; ou encore <strong>le</strong> sentiment que notre paro<strong>le</strong> nous<br />
« trahit », qu’el<strong>le</strong> n’exprime pas ce que nous aurions souhaité faire passer ;<br />
ou, au contraire, qu’el<strong>le</strong> dévoi<strong>le</strong> <strong>de</strong>s aspects que l’on aurait préféré cacher (la<br />
timidité, l’émotivité, la peur, l’irritation…).<br />
La barrière entre l’intérieur <strong>et</strong> l’extérieur, l’intime <strong>et</strong> <strong>le</strong> social se proj<strong>et</strong>te <strong>et</strong><br />
se r<strong>et</strong>rouve dans la coupure entre <strong>le</strong> dit <strong>et</strong> <strong>le</strong> non-dit. C<strong>et</strong>te coupure s’inscrit<br />
dans <strong>le</strong> sentiment qu’éprouve <strong>le</strong> suj<strong>et</strong> que, <strong>de</strong> son vécu intérieur, certains<br />
éléments sont dicib<strong>le</strong>s, qu’ils peuvent être transmis aux autres sans trop <strong>de</strong><br />
r<strong>et</strong>enue, <strong>de</strong> gêne ou <strong>de</strong> malaise ; <strong>et</strong> que d’autres éléments, pour <strong>de</strong> multip<strong>le</strong>s<br />
raisons ayant trait à l’interdit, doivent rester non dits. Un tri <strong>et</strong> une coupure<br />
opèrent donc dans <strong>le</strong> flux qui irait librement <strong>de</strong> l’intérieur vers l’extérieur. Le<br />
domaine <strong>de</strong> l’interdit est plus ou moins étendu <strong>et</strong> plus ou moins prégnant<br />
selon chaque personne ; il recouvre généra<strong>le</strong>ment <strong>et</strong> d’abord tout ce qui est<br />
<strong>de</strong> nature pulsionnel<strong>le</strong> (<strong>le</strong> sexe, l’agressivité…), tout ce qui a trait à l’intérieur<br />
du corps (<strong>le</strong> fonctionnement <strong>de</strong>s organes, <strong>le</strong>s sécrétions, <strong>le</strong>s excréments)<br />
ou qui évoque c<strong>et</strong> intérieur (<strong>le</strong>s borborygmes, <strong>le</strong>s o<strong>de</strong>urs, la<br />
transpiration…) ; tout ce qui par métaphore peut apparaître grossier, abject<br />
ou honteux (<strong>le</strong>s gros mots, <strong>le</strong>s injures, la sal<strong>et</strong>é), ce qui provoque <strong>le</strong> dégoût <strong>et</strong><br />
qui a trait pour une large part à l’analité mais aussi à ce qui révè<strong>le</strong> la nature<br />
organique du corps (cf. Picard, 1983, chap. 1 <strong>et</strong> 2). Aussi, ce qui peut être<br />
ressenti comme défauts (faib<strong>le</strong>sses, imperfections physiques <strong>et</strong> mora<strong>le</strong>s,<br />
infirmités, lacunes, insuffisances…). Plus largement, l’interdit frappe ce qui<br />
appartient à l’intime : <strong>le</strong>s pensées, <strong>le</strong>s sentiments, <strong>le</strong>s émotions, <strong>le</strong>s p<strong>le</strong>urs…<br />
Il touche aussi au contact avec autrui <strong>soi</strong>t au sens propre, <strong>soi</strong>t au sens<br />
métaphorique : autrui ne doit être approché qu’avec « tact » ; il ne faut porter<br />
sur lui ni la main, ni <strong>de</strong>s jugements sans une autorisation implicite ou explicite<br />
<strong>de</strong> sa part.<br />
Clau<strong>de</strong> : « Il est diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> juger <strong>le</strong>s autres ouvertement, même lorsque<br />
c’est <strong>de</strong> façon positive. Nous avons du mal à faire <strong>de</strong>s compliments aux<br />
autres ; peut-être est-ce à cause <strong>de</strong>s sous-entendus que nous croyons per-