15.07.2013 Views

Émile Zola et le pessimisme schopenhauerien ... - Archipel - UQAM

Émile Zola et le pessimisme schopenhauerien ... - Archipel - UQAM

Émile Zola et le pessimisme schopenhauerien ... - Archipel - UQAM

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

Serait-il plus juste de par<strong>le</strong>r de ventriloquie que de hantise? Le jeune homme ne se trouve<br />

fina<strong>le</strong>ment pas tant à agir - agir? à quoi bon' dirait-il - lorsque « visité» par <strong>le</strong> philosophe<br />

qu'à déverser une logorrhée de maximes appnses par cœur. Véritab<strong>le</strong> flux de<br />

savoirs raccourcis, de discours dépareillés: «Le <strong>pessimisme</strong> avait passé par là, un<br />

<strong>pessimisme</strong> mal digéré, dont il ne restait que <strong>le</strong>s boutades de génie 5 ? ». C'est pourtant à une<br />

hantise que nous avons affaire, en vérité, car la présence de Schopenhauer entre Pauline <strong>et</strong><br />

Lazare plane au-dessus du passage entier. Qui plus est, c<strong>et</strong>te présence est ressentie<br />

physiquement par <strong>le</strong>s personnages - <strong>et</strong> à plusieurs chefs. Pauline, qui passe <strong>le</strong> roman à<br />

débattre des idées de Schopenhauer 58 , ira même jusqu'à lul<strong>le</strong>r avec <strong>le</strong> philosophe - c'est la<br />

mainmise sur Lazare qui est en jeu:<br />

125<br />

EJJe envoyait carrément au diab<strong>le</strong> son Schopenhauer, [...] un homme qui écrivait un mal atroce<br />

des femmes' el<strong>le</strong> l'aurait étranglé, s'il n'avait pas eu au moins <strong>le</strong> cœur d'aimer <strong>le</strong>s bêtes. Bien<br />

portante, toujours droite dans <strong>le</strong> bonheur de l'habitude <strong>et</strong> dans l'espoir du <strong>le</strong>ndemain, el<strong>le</strong> <strong>le</strong><br />

réduisait à son tour au si<strong>le</strong>nce par l'éclat de son rire sonore 59<br />

11 s'agit de quelqu'un qu'on envoie au diab<strong>le</strong>, qu'on voudrait étrang<strong>le</strong>r, qu'on réduit au<br />

si<strong>le</strong>nce en riant plus haut que lui... Comment ne pas en convenir? La présence de<br />

Schopenhauer dans c<strong>et</strong>te scène, en tant que personnage, est incontestab<strong>le</strong>.<br />

<strong>Émi<strong>le</strong></strong> <strong>Zola</strong> pousse la matérialité du fantôme jusqu'à <strong>le</strong> doter d'une voix, propre à lui,<br />

différente de cel<strong>le</strong> de celui qu'il habite: « El<strong>le</strong> regr<strong>et</strong>tait <strong>le</strong>s colères, <strong>le</strong>s feux de pail<strong>le</strong> dont il<br />

57 <strong>Émi<strong>le</strong></strong> <strong>Zola</strong>, La Joie de vivre, dans Les Rougon-Macqua,." op. Cil., p. 883. (Nous soulignons.)<br />

58 La Joie de vivre, au fond, n'est que l'éta<strong>le</strong>ment d'un bout à l'autre du roman, de l'éducation<br />

«sentimenta<strong>le</strong>» de Pauline Quenu, c<strong>et</strong> être en lutte conlre son hérédité, contre son milieu, contre son<br />

momenl, qui vient il bout de sa jalousie héréditaire, qui déçoit <strong>le</strong>s al<strong>le</strong>ntes des villageois <strong>et</strong> qui<br />

abandonne sa jeunesse - comballant <strong>et</strong> vainquant <strong>le</strong> sempiternel vouloir-vivre, c'est-à-dire l'égoïsme<br />

sous toutes ses formes. Or la rançon de c<strong>et</strong>te victoire est <strong>le</strong> renoncement définitif à son devenir-femme,<br />

jamais contenté. Nous y reviendrons.<br />

59 Ibid., p. 884. Fait intéressant, ces quelques lignes de <strong>Zola</strong> réitèrent, après Ali Bonhellr des Dames,<br />

l'importance du volume sonore des paro<strong>le</strong>s qui s'entrechoquenl : encore une fois, <strong>le</strong> rire franc <strong>et</strong> bon<br />

enfant étouffe raI' sa vitalité grasse <strong>le</strong>s plaintes cyniques el désabusées. L'« inconnu troublant»<br />

disparaîtra jusqu'à la prochaine crise. Par ail<strong>le</strong>urs. <strong>Zola</strong> visib<strong>le</strong>ment avait lu ou était au courant de<br />

l'opuscu<strong>le</strong> de Schopenhauer sur (<strong>et</strong> surtout contre) <strong>le</strong>s femmes; il aussi avait pu se familiariser avec la<br />

misogynie du philosophe à travers la deuxième partie des Pensées, maximes el Fragmems, intitulée<br />

« L' amour, <strong>le</strong>s femmes <strong>et</strong> <strong>le</strong> mariage », op. Cil., p. 69-129. Arrivé à la dernière page des « Dou<strong>le</strong>urs du<br />

monde» (première partie des Pensées). <strong>le</strong> romancier écrit: « L'amour ». puis interrompt sa prise de<br />

notes. Il a donc minima<strong>le</strong>ment parcouru quelques pages de c<strong>et</strong>te deuxième section du livre. <strong>Émi<strong>le</strong></strong><br />

<strong>Zola</strong>, La peur. Schopenhauer. Sur la vie. B.N.F. Ms. NAF 10.311, f ' 265.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!