Émile Zola et le pessimisme schopenhauerien ... - Archipel - UQAM
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l'Océan, toujours des aumônes, des secours, <strong>et</strong> cela en p<strong>le</strong>in équilibre, avec de la pitié, mais avec<br />
du calme. Et courageuse. Pas dévote. - On meurt, eh bien! On meurt. Gaie, mais sans éclat 11 .<br />
Nous avons suivi la genèse de Lazare pas à pas; au fur <strong>et</strong> à mesure que nous avancions dans<br />
l'Ancien Plan <strong>et</strong> l'Ébauche, nous avons vu la souffrance mora<strong>le</strong> qu'il devait incarner prendre<br />
vie <strong>et</strong> prendre appui sur une terreur on ne peut plus humaine: la peur de la mort. « Placer, à<br />
côté de lui, ma Pauline Quenu, qui est l'antithèse 32 », note <strong>Zola</strong> dans l'Ébauche. L'antithèse<br />
de la dou<strong>le</strong>ur mora<strong>le</strong>, s'entend; ou, pour <strong>le</strong> dire plus nel<strong>le</strong>ment, la jeune femme devait<br />
incarner l'antidote à la souffrance: « <strong>le</strong> courage tranquil<strong>le</strong>, <strong>le</strong> pansement de la dou<strong>le</strong>ur par la<br />
charité 33 ... » Mais Schopenhauer, avant <strong>Zola</strong>, s'était penché sur celte question, <strong>et</strong> sa dOCtrine<br />
préconisait peu ou prou la même altitude envers la dou<strong>le</strong>ur, prêchait la même mora<strong>le</strong>.<br />
Or, <strong>le</strong> romancier n'a pas récrit l'histoire de la philosophie pour accommoder <strong>le</strong>s idées<br />
<strong>schopenhauerien</strong>nes à son proj<strong>et</strong> de La Joie de vivre. Au contraire, c'est sa fiction qu'il a<br />
modifiée, conformément à ses prétentions théoriques, en vue de mieux respecter la<br />
documentation qu'il avait rassemblée <strong>et</strong> qui, on <strong>le</strong> suppose, lui paraissait p<strong>le</strong>ine de bon sens.<br />
Il s'est vu forcé de s'incliner devant une doctrine qui, outre une suspicion acharnée envers <strong>le</strong><br />
progrès <strong>et</strong> la fécondité (qu'il ne pouvait partager 34 ), lui convenait d'un bout à l'autre 1 ); il l'a<br />
11 <strong>Émi<strong>le</strong></strong> <strong>Zola</strong>, B.N.F, Ms, NAF 10.311, f' 187.<br />
12 Idem, B.N.F, Ms, NAF 10.311, f' 187.<br />
33 Idem, B.N.F, Ms, NAF 10.31 l, f' 187.<br />
14 Ce sont en eff<strong>et</strong> <strong>le</strong>s deux « forces» de la vie auxquel<strong>le</strong>s <strong>Émi<strong>le</strong></strong> <strong>Zola</strong> se ralliera avec <strong>le</strong> plus de<br />
véhémence <strong>et</strong> desquel<strong>le</strong>s jamais il ne détachera complètement sa foi. D'où la tentation d'en faire un<br />
positiviste pur, «solide <strong>et</strong> convaincu », comme l'écrit Nils-Olof Franzén, qui résume «la religion de<br />
<strong>Zola</strong>» par« la foi scientifique» <strong>et</strong> « Je positivisme ». <strong>Zola</strong> el La Joie de vivre, Stockholm, Almqvist &<br />
Wiksell, 1958, p. 202-203. Sur cel<strong>le</strong> question, <strong>le</strong>s écrits théoriques <strong>et</strong> polémiques de <strong>Zola</strong>, <strong>le</strong>s plus<br />
déclaratifs donc, sont aussi <strong>le</strong>s plus éloquents <strong>et</strong> généreux; prenons par exemp<strong>le</strong> la chronique du<br />
5 septembre 1881, dans Le Figaro: «Pourquoi ne pas avoir foi dans la vie, dans l'humanité? Un<br />
travail sourd la secoue <strong>et</strong> la pousse: eh bien! ce travail ne peut être qu'un élargissement de l'être,<br />
qu'une prise de possession plus vaste du monde. il n'y a aucune raison pour croire au mal final; au<br />
contraire, lorsque la somme des efforts est faite, on constate toujours dans l'histoire d'un pas de plus<br />
en avant, malgré <strong>le</strong>s erreurs de route. Marchons donc, m<strong>et</strong>tons notre certitude dans l'avenir. Quand<br />
même, demain aura raison. » <strong>Émi<strong>le</strong></strong> <strong>Zola</strong>, « La démocratie », repris dans É. <strong>Zola</strong>, Une campagne, dans<br />
Œuvres complè<strong>le</strong>s, Paris, Cerc<strong>le</strong> du livre précieux, 1970, t. XlV, p. 651.<br />
15 Jean Lefranc rapproche volontiers la pensée scientifique <strong>et</strong> systématique d'un Claude Bernard ou<br />
d'un Auguste Comte (positivistes dont <strong>Zola</strong> fréquenta la pensée) de la philosophie de Schopenhauer:<br />
« La métaphysique de Schopenhauer apparaît compalib<strong>le</strong> avec la science <strong>et</strong>, mieux qu'aucune autre,<br />
el<strong>le</strong> a pu séduire des esprits scientitiques lassés des éternels débats entre spiritualistes <strong>et</strong><br />
matérialistes. » Voir Jean Lefranc. «Schopenhauer. penseur "fin-de-sièc<strong>le</strong>" ». Blll<strong>le</strong>lin de la Sociélé<br />
française de philosophie, vol. 92, no 1 (1998), p. 15. Plus d'une dizaine d'années auront passé avant<br />
que <strong>Zola</strong> ne revienne explicitement sur la philosophie de Schopenhauer. <strong>et</strong> alors il s'élève avec férocité<br />
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