Émile Zola et le pessimisme schopenhauerien ... - Archipel - UQAM
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Quant aux Chanteau, <strong>le</strong>ur maison se trouve perchée « sur <strong>le</strong>s falaises, à demi-pente »,<br />
face à l'église; <strong>le</strong>s deux bâtiments se regardent l'un l'autre par-dessus « <strong>le</strong> ravin de la<br />
route» qui mène à la plage <strong>et</strong> aux «vingt-cinq à trente masures» du village, étendues<br />
«sur <strong>le</strong>ur lit étroit de gal<strong>et</strong>s 88 ». À l'élévation vertica<strong>le</strong> correspond d'ordinaire, suivant <strong>le</strong><br />
schématisme courant, l'élévation socia<strong>le</strong> <strong>et</strong> spirituel<strong>le</strong>. Bonnevil<strong>le</strong>, village qui reste<br />
« bonhomme» malgré l'ironie patente de son nom, ne fait pas exception. La maison des<br />
Chanteau, en promontoire, position symboliquement signifiante, fait office de mairie pour<br />
Je hameau qu'el<strong>le</strong> surplombe: «Ils n'étaient pas deux cents habitants, ils vivaient de la<br />
mer, fort mal, collés à <strong>le</strong>ur rocher avec un entêtement stupide de mollusques 89 . » Les<br />
Chanteau ont du raffinement; seuls bourgeois du coin, ils vivent « au-dessus des<br />
misérab<strong>le</strong>s toits 90 », mais il y a une rançon à cel<strong>le</strong> élévation. Leur plus grand train de vie<br />
<strong>le</strong>s rend plus douill<strong>et</strong>s, plus faci<strong>le</strong>ment suj<strong>et</strong>s à la souffrance, parce que mieux à l'abri des<br />
éléments, parce que plus enclins à ambitionner <strong>le</strong> bonheur, parce que plus éduqués, plus<br />
sophistiqués, plus cérébraux <strong>et</strong>, pour tout dire, moins sauvages que <strong>le</strong>s villageois<br />
miséreux.<br />
La sensibilité à la dou<strong>le</strong>ur est toutefois moins uniforme en haut de la falaise qu'au ras<br />
de l'océan. Certains, comme <strong>le</strong>s Chanteau père <strong>et</strong> fils souffrent continuel<strong>le</strong>ment; types<br />
nerveux qu'ils sont, <strong>le</strong>ur tempérament est propice à éprouver Je mal avec acuité. À<br />
l'inverse, la chal<strong>le</strong> Minouche, par sa « fécondité inépuisab<strong>le</strong>?' » <strong>et</strong> inuti<strong>le</strong>, puisque ses<br />
p<strong>et</strong>its sont aussitôt j<strong>et</strong>és à la mer, rappel<strong>le</strong> davantage <strong>le</strong>s villageois. Même, <strong>le</strong> rythme<br />
saisonnier de la prodigalité (en apparence indolore) de la chal<strong>le</strong> nous rappel<strong>le</strong> la cadence<br />
de l'océan (sans souffrance aucune) : «Cel<strong>le</strong> Minouche était une gueuse, qui, quatre fois<br />
par an, tirait des bordées terrib<strong>le</strong>s 92 . » Véronique conclut: « El<strong>le</strong> a tout <strong>le</strong> plaisir, sans<br />
avoir <strong>le</strong> ma1 93 . » Façon de par<strong>le</strong>r; car, quoique <strong>le</strong> texte ne mentionne jamais explicitement<br />
de dou<strong>le</strong>ur chez Minouche, il n'est pas avare en détails vio<strong>le</strong>nts sur sa vie de<br />
qui chaque années mangeait un coin du pays. » - ses habitants sont « forcés de monter plus haut.<br />
dans <strong>le</strong> ravin ». <strong>et</strong> ils campent sous <strong>le</strong>s rochers, s'abritent avec ce qu'ils peuvent. tanùis que <strong>le</strong>s<br />
plus riches bâtissent: «IOUS fondaient un autre Bonnevil<strong>le</strong> en al<strong>le</strong>ndant que <strong>le</strong> nO! <strong>le</strong>s délogeât<br />
encore. après de nouveaux sièc<strong>le</strong>s de batail<strong>le</strong>s. » <strong>Émi<strong>le</strong></strong> <strong>Zola</strong>. La Joie de l'ivre. ùans Les Rougoll<br />
Macquart. op. cit.. l. III, p. 1112.<br />
88 Ibid., p. 809-810.<br />
39 Ibid.. p. 810.<br />
90 Ibid.<br />
91 Ibid.. p. 1120.<br />
92 ibid.. p. 856<br />
9) ibid.