Émile Zola et le pessimisme schopenhauerien ... - Archipel - UQAM
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Était-ce possib<strong>le</strong>? voilà qu'il était entré dans une famil<strong>le</strong> de vo<strong>le</strong>uses! Un mariage stupide qu'i!<br />
avait bâclé, afin d'être agréab<strong>le</strong> au père! Surpris de c<strong>et</strong>te vio<strong>le</strong>nce d'enfant maladif, Mour<strong>et</strong> <strong>le</strong><br />
regardait p<strong>le</strong>urer, en se rappelant l'ancienne pose de son <strong>pessimisme</strong>. Ne lui avait-il pas entendu<br />
soutenir vingt fois <strong>le</strong> néant final de la vie, où il ne trouvait que <strong>le</strong> mal d'un peu drô<strong>le</strong>? Aussi, pour<br />
Je distraire, s'amusa-t-il une minute à lui prêcher l'indifférence sur un ton de plaisanterie amica<strong>le</strong>.<br />
Et, du coup, Vallagnosc se fâcha: il ne pouvait décidément rattraper sa philosophie compromise,<br />
toute son éducation bourgeoise repoussait en indignations vertueuses contre sa bel<strong>le</strong>-mère. Dès<br />
que l'expérience tombait sur lui, au moindre eff<strong>le</strong>urement de la misère humaine, dont il ricanait à<br />
froid, <strong>le</strong> sceptique fanfaron s'abattait <strong>et</strong> saignait. C'était abominab<strong>le</strong>, on traînait dans la boue<br />
l'honneur de sa race, <strong>le</strong> monde semblait en craquer.<br />
- Allons, calme-toi, conclut Mour<strong>et</strong> pris de pitié. Je ne te dirai plus que tout arrive <strong>et</strong> que rien<br />
n'arrive, puisque cela n'a pas l'air de te conso<strong>le</strong>r en ce moment. Mais je crois que tu devrais al<strong>le</strong>r<br />
donner ton bras à Mme de Boves, ce qui serait plus sage que de faire un scanda<strong>le</strong> ... Que diab<strong>le</strong>' toi<br />
qui professais <strong>le</strong> f<strong>le</strong>gme du mépris, devant la canail<strong>le</strong>rie universel<strong>le</strong>!<br />
- Tiens' cria naïvement Vallagnosc, quand ça se passe chez <strong>le</strong>s autres l41<br />
La Joie de vivre aussi propose une scène où <strong>le</strong> jeune homme avoue avoir tort, maIs nous<br />
avons vu avec Jean-Louis Cabanès '5 que la scène se charge alors d'ambiguïté: Pauline y<br />
apparaît avoir autant de tOl1s que Lazare. Les deux cousins apparaissent sous c<strong>et</strong> ang<strong>le</strong> n'être<br />
autres que <strong>le</strong>s deux versants philosophiques d'une seu<strong>le</strong> <strong>et</strong> même personne. Aussi est-ce<br />
pourquoi, bien qu'ils s'aiment, ils ne peuvent s'accoup<strong>le</strong>r. C'est tout juste s'ils peuvent<br />
cohabiter. Car remarquons qu'il n'y a que dans la fiction que cohabitent ces deux côtés<br />
opposés de la personnalité du romancier. Les artic<strong>le</strong>s <strong>et</strong> <strong>le</strong>s ouvrages d'<strong>Émi<strong>le</strong></strong> <strong>Zola</strong><br />
journaliste, écrits polémiques ou théoriques, n'adm<strong>et</strong>tent que <strong>le</strong> côté méthodique <strong>et</strong> confiant<br />
de l' homme de l<strong>et</strong>tres couronné de gloire.<br />
Mais la fiction préserve ses droits d'instaurer un monde clos <strong>et</strong> autonome dans <strong>le</strong>quel <strong>le</strong>s<br />
tensions internes sont incarnées séparément. Par mimésis du seul réel que veut bien adm<strong>et</strong>tre<br />
<strong>Zola</strong>, La Joie de vivre montre la voie du succès personnel: «Détermination <strong>et</strong> volonté<br />
dessinent en eff<strong>et</strong> <strong>le</strong> parcours de la réussite '6 . » D'où la forte valorisation du traj<strong>et</strong> d'une<br />
Pauline Quenu qui, comme Denise Baudu avant el<strong>le</strong>, cumu<strong>le</strong> <strong>le</strong>s épithètes positifs à un<br />
14 <strong>Émi<strong>le</strong></strong> <strong>Zola</strong>, Ali Bonheur des Dames, dans Les Rougon-Macquart, op. cil., t. III. p. 795-796.<br />
15 «La grande force de ce roman de milieu de cyc<strong>le</strong> est donc d'exalter l'éthique du don contre la<br />
cupidité p<strong>et</strong>ite bourgeoise, de faire apparaître <strong>le</strong>s Jimites de l'honnêt<strong>et</strong>é en faisant l'éloge d'un bonté<br />
qui va jus.qu'au sacrifice de soi, mais aussi de suggérer une sorte d'aporie de la charité qui end<strong>et</strong>te<br />
mora<strong>le</strong>ment, pour peu que celui qui en est <strong>le</strong> bénéficiaire ne parvienne pas à se détinir comme suj<strong>et</strong><br />
donateur, dans l'exercice de sa liberté <strong>et</strong> dans son droit à refuser ce qu'on lui offre, <strong>Zola</strong> est donc loin<br />
de créer. comme on l'en accuse souvent. des récits univoques. » Jean-Louis Cabanès, « La Joie de<br />
l'il're ou <strong>le</strong>s créances de la charité ». Lil1émtllres. no 47 (2002), p. 135-136.<br />
1(, Véronique Cnockaert. <strong>Émi<strong>le</strong></strong> <strong>Zola</strong>. Les inachel'és: Une poétiql<strong>le</strong> de l'odo<strong>le</strong>scence, Montréal, XYZ.<br />
coll. « Documents », 2003, p. 136.