Émile Zola et le pessimisme schopenhauerien ... - Archipel - UQAM
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ûlait trop vite, quand el<strong>le</strong> <strong>le</strong> voyait professer Je néant d'une voix blanche <strong>et</strong> aigréo. »<br />
Notons bien que ce n'est pas sa voix, cel<strong>le</strong> de Lazare, mais bien une voix étrange, inconnue<br />
de Pauline. Une voix blanche surtout, c'est-à-dire étranglée, dépourvue de timbre.<br />
<strong>Zola</strong>, contrairement à certains amis de son cerc<strong>le</strong>, n'a pas lu l'artic<strong>le</strong> de Chal<strong>le</strong>mel<br />
Lacour; il s'est documenté sur Schopenhauer via <strong>le</strong>s ouvrages de Ribot, de Bouillier <strong>et</strong> de<br />
Bourdeau qui, tous, il est vrai, proposent <strong>le</strong>ur portrait du curieux philosophe; il n'en demeure<br />
pas mOInS que sa relation avec la personne de Schopenhauer est strictement d'ordre<br />
livresque 61 . Qu'il lui ait accordé une voix peut étonner, mais qu'il en ait donné jusqu'à la<br />
cou<strong>le</strong>ur s'éclaire d'une lumière nouvel<strong>le</strong> à la <strong>le</strong>cture d'« Auprès d'un mort ». Durant la<br />
terrifiante nuit que passent <strong>le</strong>s deux discip<strong>le</strong>s auprès du défunt philosophe, à veil<strong>le</strong>r <strong>le</strong> corps, à<br />
craindre absurdement qu'il se relève <strong>et</strong> se rem<strong>et</strong>te à par<strong>le</strong>r, par-delà <strong>le</strong> trépas, ils sont tout à<br />
coup saiSIS de frayeur lorsqu'ils entendent un p<strong>et</strong>it bruit provenir de la chambre du<br />
mort. «Nos regards furent aussitôt sur lui, <strong>et</strong> nous vîmes, oui, Monsieur, nous vîmes<br />
parfaitement, l'un <strong>et</strong> l'autre, quelque chose de blanc courir sur <strong>le</strong> lit, tomber à terre sur <strong>le</strong><br />
tapis, <strong>et</strong> disparaître sous un fauteuil 62 . » Passé <strong>le</strong> moment de stupeur, <strong>le</strong>s hommes épouvantés<br />
cherchent, s'agenouil<strong>le</strong>nt au pied du lit <strong>et</strong> r<strong>et</strong>rouvent la cause du brusque éclat de blancheur:<br />
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Alors mon compagnon, ayant pris l'autre bougie. se pencha. Puis il me toucha <strong>le</strong> bras sans dire<br />
un mot. Je suivis son regard, <strong>et</strong> j'aperçus à <strong>le</strong>rre, sous <strong>le</strong> fauteuil à côté du lit, tOUI blanc sur Je<br />
sombre tapis, ouvert comme pour mordre, Je râtelier de Schopenhauer.<br />
Le travail de la décomposition, desserrant <strong>le</strong>s mâchoires, l'avait fait jaillir de la bouche 63 .<br />
Voilà J'anecdote: même mort, Schopenhauer, par <strong>le</strong> jeu de sa bouche <strong>et</strong> de tout ce qui en<br />
sort, demeure synonyme de frayeur pour <strong>le</strong>s gens. Par extension, c'est Schopenhauer tout<br />
entier - à la fois sa doctrine <strong>et</strong> sa personne - qui continuent de hanter <strong>le</strong>s hommes, <strong>et</strong> jusqu'à<br />
60 Ibid., p. 883.<br />
61 «Les opinions pessl mlstes <strong>le</strong>s plus avancées, écrit René-Pierre Colin, toul comme <strong>le</strong>s lraits<br />
gal vaudés de la misanthropie qui se font jour dans de nombreux romans naIural istes ne sauraient être<br />
rapportés syslématiquement à l'jnlluence de Schopenhauer, même si celui-ci est devenu, à cause de<br />
l'exacerbation des thèmes qu'il avait développés. une tigure satanique [... J. Sur bien des points,<br />
cependant, la <strong>le</strong>cture des aphorismes du philosophe a pu conforter une certaine vision du monde. Le<br />
temps <strong>schopenhauerien</strong>. ce "cerc<strong>le</strong> sans tin qui tourne sur lui-même", est venu étayer l'jdée de<br />
l'enlisement, du croupissement des existences. puisque, loin de faire advenir un progrès, il fail revenir<br />
ce qui a déjà été. » René-Pierre Coli n. Trallrhes de l'ie. Tusson, Du Lérot, J991. p. 189.<br />
1>2 Guy de Maupassant. «Auprès d'un mort ». op. Cil., p. 730. (Nous soulignons.)<br />
63 Ibid., p. 730-731.