Émile Zola et le pessimisme schopenhauerien ... - Archipel - UQAM
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trouver à être amendés en cours de route, comme J'a montré notre analyse de la genèse du<br />
<strong>pessimisme</strong> dans <strong>le</strong> proj<strong>et</strong>.<br />
<strong>Zola</strong> perdit-il effectivement <strong>le</strong> «contrô<strong>le</strong>» de La Joie de vivre? Sans doute est-ce plus<br />
compliqué que cela, car déjà J'Ébauche témoignait de la précarité de la démonstration à faire.<br />
Qui plus est, malgré ses ambiguïtés philosophiques, <strong>le</strong> douzième Rougon-Macquart reste une<br />
œuvre profondément uniforme, menée de main de maître, <strong>et</strong> qui condense plusieurs années<br />
d'ennui sans ennuyer... Néanmoins, à lire la l<strong>et</strong>tre que <strong>le</strong> romancier envoya, <strong>le</strong> 10 octobre<br />
1883 (i 1 achevait la rédaction), à un éditeur suédois pour <strong>le</strong>s droits de traduction, <strong>et</strong> où il<br />
affirme ses intentions de façon claire <strong>et</strong> n<strong>et</strong>te, nous serions tenté de répondre que oui, perte de<br />
contrô<strong>le</strong> il y a eu: «Il faut prendre ce titre au sens littéral. L'œuvre est une réponse au<br />
<strong>pessimisme</strong> qui déclare la vie mauvaise, <strong>et</strong> j'ai montré "la joie de vivre", dans une jeune fil<strong>le</strong>,<br />
qui est pourtant accablée de toutes <strong>le</strong>s souffrances'. » Encore une fois, il ne faut pas perdre de<br />
vue que c<strong>et</strong>te l<strong>et</strong>tre se veut un argument de vente. Mais ici une précision d'importance<br />
capita<strong>le</strong> nous esl donnée, car ce ne sont pas tous <strong>le</strong>s <strong>pessimisme</strong>s qui sont visés, seu<strong>le</strong>ment<br />
celui qui rej<strong>et</strong>te la vie. La mora<strong>le</strong> de Pauline, si <strong>schopenhauerien</strong>ne soil-el<strong>le</strong> devenue 4 , est<br />
sauve alors.<br />
Car Schopenhauer ne rej<strong>et</strong>te pas d'emblée toute forme de vie, contrairement à la croyance<br />
populaire. Cel<strong>le</strong> de Pauline lui eût semblé des plus méritoires <strong>et</strong> des plus enviab<strong>le</strong>s, suivant sa<br />
théorie. Anne Henry idenlifie d'ail<strong>le</strong>urs une forme d'« oplimisme », selon son expressIOn,<br />
dans la pensée du philosophe: «un système qui propose des remèdes au malheur de<br />
J'existence n'est pas lugubre du tout 5 »Certes, <strong>le</strong> <strong>pessimisme</strong> <strong>schopenhauerien</strong> renverse tout<br />
entier <strong>le</strong> syslème habituel de va<strong>le</strong>urs «ralionnel<strong>le</strong>s» el «positives» de la lradition<br />
bourgeoise 6 : effort, activité, travail ... mais il aboutit à une mora<strong>le</strong> individuel<strong>le</strong> dont <strong>le</strong>s<br />
, <strong>Émi<strong>le</strong></strong> <strong>Zola</strong> à Karl Ni Isson, Correspondance, Montréal, P. U. de Montréal, 1983, t. IV, p. 419.<br />
4 El<strong>le</strong> l'était au départ aussi, mais non explicitement.<br />
5 Anne Henry (dir.), Schopenhauer el la créalion lil1éraire en Europe, Paris, Klincksieck,<br />
coll. « Méridiens », 1989, p. 47-48.<br />
6 Henry commente la portée d'une tel<strong>le</strong> permutation: « Malgré son désir de renverser <strong>le</strong> courant <strong>et</strong> de<br />
désigner au conlraire l'amp<strong>le</strong>ur <strong>et</strong> la prééminence de l"irrationnel, illSchopenhauer) n'a pu s'empêcher<br />
de succomber au préjugé qui impose un signe négatif à tout ce qui échappe à l'intel<strong>le</strong>ct, à la<br />
conscience. Aussi son irrationalisme est-il un irrationalisme malheureux parce qu'il conserve comme<br />
va<strong>le</strong>ur suprême la représentation dont il a précisément montré <strong>le</strong>s limites. » Ibid.. p. 71.<br />
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