Émile Zola et le pessimisme schopenhauerien ... - Archipel - UQAM
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Enfin, pour être franc, nous ne serions pas surpris que ces maux soient souvent plus imaginaires<br />
que réels. Le « nervosisme» est une mode que l'on suit volontiers parce qu'el<strong>le</strong> est plutôl<br />
distinguée '29 .<br />
<strong>Émi<strong>le</strong></strong> <strong>Zola</strong> lui aussI trouvait son époque passab<strong>le</strong>ment agitée <strong>et</strong> fébri<strong>le</strong>: « Influence du<br />
milieu fiévreux sur <strong>le</strong>s personna <strong>le</strong>s impatiences ambitieuses des personnages l30 », notait-il<br />
déjà en 1869, en prévision de la fresque socia<strong>le</strong> à venir. La montée de sa propre névrose <strong>et</strong> de<br />
cel<strong>le</strong> de ses amis - notamment <strong>le</strong>s Goncourt, «ces aristocrates de la maladie des nerfs '31 » <br />
devait exaspérer son irritation envers la recrudescence de la dou <strong>le</strong>ur mora<strong>le</strong>.<br />
Le lieu commun voulait que <strong>le</strong>s plus touchés de nervosisme soient <strong>le</strong>s habitants des<br />
grandes vil<strong>le</strong>s, <strong>et</strong> en particulier <strong>le</strong>s femmes, préjugé qui s'infiltra jusque dans <strong>le</strong>s traités<br />
scientifiques <strong>le</strong>s plus sérieux:<br />
Une jeune femme délicate, nerveuse, é<strong>le</strong>vée à la vil<strong>le</strong>, ne pourrail pas subir, sans crier <strong>et</strong> se<br />
débattre, une amputation qu'un matelot, endurci aux fatigues, ou un vieux paysan, aguerri par <strong>le</strong>s<br />
misères de toutes sortes, subiraient presque sans plainte. Il me semb<strong>le</strong> que c<strong>et</strong>te jeune femme<br />
aurait beau avoir autant de courage que <strong>le</strong> nègre ou <strong>le</strong> matelot, il ne lui serait pas possib<strong>le</strong> de<br />
résister, <strong>et</strong> d'arrêter ses cris. - En un mot, il est une limite à la dou<strong>le</strong>ur que la plus grande force<br />
d'âme ne saurait dépasser '32<br />
Pour <strong>le</strong> Dr Char<strong>le</strong>s Rich<strong>et</strong>, la propension à la dou<strong>le</strong>ur chez l'humain était tributaire de ses<br />
nerfs; plus l'homme avait un caractère névralgique - ou efféminé -, plus il était conditionné à<br />
éprouver de la souffrance: «Nous ne croyons pas tant aux différences de courage qu'aux<br />
différences de sensibilité l33 ».<br />
<strong>Émi<strong>le</strong></strong> <strong>Zola</strong>, quelques années après la parution de l'artic<strong>le</strong> de Rich<strong>et</strong>, se trouva à J'annoter<br />
<strong>et</strong> à <strong>le</strong> résumer en vue de s'en servir pour La Joie de vivre: «Dou<strong>le</strong>ur mu<strong>et</strong>te, dou<strong>le</strong>ur<br />
hurlante, plus différence de sensibilité que différence de courage. (... ) (Lazare très sensib<strong>le</strong>,<br />
sensibilité, souffre dix fois plus que <strong>le</strong> nègre)'34 ». On comprend qu'augmenter l'acuité des<br />
sensations du « souffrant moral» autorise <strong>le</strong> romancier à lui attribuer une plus large part de<br />
dou<strong>le</strong>ur; cel<strong>le</strong>-ci, en r<strong>et</strong>our, olientera son appréhension inquiète - <strong>et</strong> nerveuse - vers une<br />
129 ibid, p. 331-332.<br />
130 « Notes généra<strong>le</strong>s sur la marche de l'œuvre ». dans Les Rougon-Macqua,." op. Cil., 1. V. p. 1738.<br />
)31 Michel Mansuy, op. Cil., p. 332.<br />
m Dr Char<strong>le</strong>s Rich<strong>et</strong>. lac. Cil., p. 459<br />
ll3 ibid.. p. 458.<br />
13j <strong>Émi<strong>le</strong></strong> <strong>Zola</strong>. La peur. Schopenhouer. S"rla Fie. B.N.F. Ms. NAf 10.31 1, (°271.<br />
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