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Émile Zola et le pessimisme schopenhauerien ... - Archipel - UQAM

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Mais el<strong>le</strong> se pencha davantage. La coulée rouge d'une goul<strong>le</strong> de sang, <strong>le</strong> long de sa cuisse,<br />

l'étonnait. Soudain, el<strong>le</strong> comprit: sa chemise, glissée à terre, semblait avoir reçu<br />

l'éclaboussement d'un coup de couteau. C'était donc pour cela qu'el<strong>le</strong> éprouvait, depuis son<br />

départ de Caen, une tel<strong>le</strong> défaillance de tout son corps? El<strong>le</strong> ne l'attendait point si tôt, cel<strong>le</strong><br />

b<strong>le</strong>ssure, que la per<strong>le</strong> de son amour venait d'ouvrir, aux sources mêmes de la vie. Et la vue de<br />

cel<strong>le</strong> vie qui s'en allait inuti<strong>le</strong>, combla son désespoir. La première fois, el<strong>le</strong> se souvenait<br />

d'avoir crié d'épouvante, lorsqu'el<strong>le</strong> s'était trouvée un matin ensanglantée. Plus tard, n'avaitel<strong>le</strong><br />

pas eu l'enfantillage, <strong>le</strong> soir, avant d'éteindre sa bougie, d'étudier d'un regard furtif<br />

l'éclosion complète de sa chair <strong>et</strong> de son sexe') El<strong>le</strong> était fière comme une sotte, el<strong>le</strong> goûtait <strong>le</strong><br />

bonheur d'être femme. Ah' misère' la pluie rouge de la puberté tombait là, aujourd'hui,<br />

pareil<strong>le</strong> aux larmes vaines que sa virginité p<strong>le</strong>urait en el<strong>le</strong>. Désormais, chaque mois ramènerait<br />

ce jaillissement de grappe mûre, écrasée aux vendanges, <strong>et</strong> jamais el<strong>le</strong> ne serait femme, <strong>et</strong> el<strong>le</strong><br />

vieillirait dans la stérilitë%'<br />

Les règ<strong>le</strong>s de Pauline constituent l'avortement mensuel d'une fécondité, mais plus encore<br />

el<strong>le</strong>s sont dou <strong>le</strong>ur cataménia<strong>le</strong>, crampes dysménorrhéiques, effusion de sang... un<br />

épisode sanglant qui revient périodiquement, qu'il faut se contenter d'apaiser, qu'on ne<br />

peut «guérir ». C'est bien là <strong>le</strong> mode d'intervention de l'héroïne de La Joie de vivre: el<strong>le</strong><br />

apaise des dou <strong>le</strong>urs qui reviendront assurément, attendues gu' el<strong>le</strong>s sont 297<br />

Le cumul de tous <strong>le</strong>s degrés de la souffrance rend Pauline capab<strong>le</strong> de s'é<strong>le</strong>ver au<br />

néant, au nirvana que Schopenhauer a tant vanté. Et el<strong>le</strong> y accède; la toute dernière scène<br />

du roman est claire sur ce point. Voyons-la materner trois générations de Chanteau:<br />

TI Yeut un si<strong>le</strong>nce. pendant qu'el<strong>le</strong> reprenait <strong>le</strong> p<strong>et</strong>it dans une étreinte maternel<strong>le</strong>.<br />

- Pourquoi ne te maries-tu pas. si lU ai mes tant <strong>le</strong>s enfants') demanda L1zare.<br />

El<strong>le</strong> demeura stupéfaite.<br />

- Maisj'ai un enfant' est-ce que tu ne me l'as pas donné')... Me marier'jamais de la vie.<br />

par exemp<strong>le</strong> 1<br />

El<strong>le</strong> berçait <strong>le</strong> p<strong>et</strong>it Paul, el<strong>le</strong> riait plus haut. en racontant plaisamment que son cousin<br />

l'avait convertie au grand sai ni Schopenhauer, qu'el<strong>le</strong> voulait rester til<strong>le</strong> afin de travail<strong>le</strong>r à la<br />

délivrance universel<strong>le</strong>; <strong>et</strong> c'était el<strong>le</strong>. en eff<strong>et</strong>. <strong>le</strong> renoncement. l'amour des autres, la bonté<br />

épandue sur l'humanité mauvaise. [ ...) Et el<strong>le</strong> berçait toujours l'enfant. avec son rire de<br />

vaillance, debout au milieu de la terrasse b<strong>le</strong>uie par l'ombre. entre son cousin accablé <strong>et</strong> son<br />

onc<strong>le</strong> qui geignait. El<strong>le</strong> s'était dépouillée de tout, son rire éclatant sonnait <strong>le</strong> bonheUl 298<br />

2% Ibid.. p. 1043-1044.<br />

297 At<strong>le</strong>ndues <strong>et</strong> dans ce cas-ci espérées. car significati ves du pouvoir de donner la vie.<br />

298 Ibid.. p. 1129-1 130. Les notes préparatoires de ce onzième <strong>et</strong> dernier chapitre prévoyaient<br />

effectivement de clore Je roman ainsi (el<strong>le</strong>s furent sans doute rédigées en automne 1883. alors que<br />

<strong>le</strong>s dix autres chapitres étaient achevés): el<strong>le</strong>s apportent une nuance phi losophique uli <strong>le</strong> à noire<br />

compréhension de la con version <strong>schopenhauerien</strong>ne de l' héroïne: « Pau li ne. c'est clic qu i est avec<br />

Schopenhauer par son renoncemenl. par sa stérilité voulue (on peut lui dire: pourquoi ne vous<br />

mariez-vous pas. el el<strong>le</strong> répondrait: mais j 'ai un cnfant déjà). par son altruisme. mais el<strong>le</strong> ne<br />

pousse pas jusqu'il la négation de la vie. » Idem. Plans. B.N.F. Ms. NAf 10.311. fO 134. Quand<br />

même. el<strong>le</strong> ne donnera pas la vie ... el<strong>le</strong> donne tOUI sauf ça. Ainsi. l'avant-texte témoigne de<br />

l'intention. tardive il tout <strong>le</strong> moins. de faire adopter intégra<strong>le</strong>ment la mora<strong>le</strong> mais non la<br />

métaphysique pessimiste il Pauline. Nous reviendrons sur <strong>le</strong>s intentions zolienncs.

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