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Les défis de l’agriculture mondiale
Lorsque Rabelais proclamera « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » 70 , il
se rangera clairement du côté des sophistes. La science, si elle n’est pas associée
à la conscience du bien que l’on peut et doit faire grâce à la maîtrise des savoirs
et des techniques, ne peut être que ruine de l’âme.
Après avoir passé douze ans au Comité Consultatif National d’Ethique, je
puis vous assurer que la ligne de partage principale en son sein, ce qui structure
les discussions, c’est cette question, objet du dialogue entre Socrate et Protagoras.
Lorsque l’on s’interroge, comme c’est le rôle de ce comité d’éthique, sur le
caractère moralement acceptable de l’application d’une innovation technique
(par exemple du clonage, de la recherche sur l’embryon, les plantes transgéniques,
etc.), en regard de l’idée que l’on se fait du respect de la dignité de la personne,
il y a très souvent deux camps :
• Pour le premier d’entre eux, la beauté de la science qui progresse constitue un
préjugé favorable « on n’arrête pas le Progrès », « le Progrès est bon en soi, c’est la vérité,
la lumière ». La qualité scientifique du projet le rend non seulement acceptable,
mais aussi désirable.
• L’autre camp considère qu’il est certes souhaitable de soutenir le progrès des
sciences et des techniques mais que, pour autant, la question de la légitimité
morale de l’application de cette innovation à l’homme, se pose et reste entière,
même si la science sur laquelle elle se base apparaît brillante. La beauté
scientifique ne dit rien de l’acceptabilité morale de la technique à l’homme.
En d’autres termes, le débat éthique contemporain reste articulé, dans le
domaine des sciences, par l’opposition entre les partisans (qui s’ignorent souvent)
de Socrate et ceux de Protagoras.
Une arrivée récente dans l’histoire de l’humanité
Les Grecs ont donc inventé le discours sur la science en l’adossant à la
logique, au logos. Ils ont jeté les bases du questionnement sur les relations entre
la science et la morale, mais ne sauraient être vus comme les concepteurs de
la notion de Progrès. L’idée que la société grecque pourrait progresser grâce
à la science leur est, en effet, totalement étrangère parce qu’ils sont totalement
persuadés que leur superbe civilisation est indépassable. Tous ceux qui ne parlent
pas grec sont des barbares. La Grèce est ce qui peut se faire de mieux, la notion
de Progrès est, de ce fait, incompatible avec leur culture. Les Romains n’auront
de cesse de retrouver l’harmonie grecque. Le Moyen Age scolastique obéira à la
parole des grands anciens : Aristote, Saint-Augustin, Saint-Thomas d’Aquin. La
Renaissance, comme son nom l’indique, recherchera à retrouver les secrets de la
flamboyance de l’antiquité. Il y a bien des progrès tout au long de cette période
mais ils ne sont pas pensés comme tels.
70 Rabelais, Pantagruel, chapitre VIII (nombreuses éditions, dont Nathan, Hatier, Bordas, Hachette, etc.).
Les défis de l’agriculture au XXI e siècle - Leçons inaugurales du Groupe ESA