Les défis de l'agriculture mondiale - Vintage

Une gouvernance éthique
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intime, puisse s’imposer en même temps aux 7 milliards d’individus que nous
sommes, marqués par des cultures très différentes ? La décroissance est un choix,
voire un luxe pour l’homme blanc et riche, elle prend le visage du dénuement
pour les deux tiers de l’humanité.
A cet égard, nous pouvons faire un parallèle avec le magnifique récit de
Dostoïevski sur les frères Karamazov, intitulé « le grand Inquisiteur ».
Il s’agit d’une histoire racontée par Ivan, au caractère farouche et rebelle, à son
frère Alexeï qui s’apprête à rentrer dans les ordres. Celle-ci se déroule à Séville, à
l’époque de l’Inquisition, et met en scène le retour du Messie (au sens chrétien)
en cette période sombre de l’Histoire. Jésus, mêlé à la foule, produit quelques
miracles. Les gens le reconnaissent immédiatement. Toutefois, il est arrêté par
les sbires du Grand Inquisiteur et condamné à mourir le lendemain au bûcher.
Le Grand Inquisiteur le visite dans sa cellule et lui dit : l’immense majorité de
l’humanité ne peut accéder au sens du message du Christ et ne peut soutenir la
liberté que Jésus leur a donnée. Ainsi, l’inquisiteur suggère que Jésus, en leur
donnant cette liberté, a exclu cette majorité de l’humanité de la rédemption, et l’a
condamnée à souffrir. L’Eglise et le Grand Inquisiteur sont devenus, en quelque
sorte, obligés de prendre en charge le quotidien qui régit l’organisation sociale
de l’humanité pour soulager cette souffrance.
Le parallèle est intéressant. Le message de la décroissance pourrait être
reçu par quelques élus comme un message mystique, une réappropriation par
l’homme de son destin dans ce qu’il comporte de plus élevé, de plus noble, de
plus éthique. Mais comment demander le même effort à la foule, la multitude,
le plus grand nombre sans éducation, soumis à la faim quotidienne dont le seul
souci est de se lever le matin pour nourrir leur famille et qui regarde l’Occident
comme le paradis sur Terre ?
Ainsi, aux dires de l’inquisiteur, cette prise de conscience de leur liberté est
inconciliable avec leurs besoins naturels : « ils ne sauront jamais répartir le pain
entre eux ! »
Le renoncement s’explique par la nécessité de l’aliénation aux inquisiteurs
pour que ceux-ci les nourrissent. L’image du pain symbolise toute la responsabilité
que sous-tend l’idée de liberté. Elle fait peur à l’homme parce qu’elle est le
synonyme du choix douloureux entre le bien et le mal, de la prise de décisions
et aussi de la prise en compte des conséquences de l’action. Or l’homme est
une créature trop faible pour ne pas redouter cette charge ; dès lors, à ceux qui
se proposent de régner sur les hommes, d’assumer pour eux tous ces choix, est
offerte leur liberté. L’inquisiteur assure Jésus que la race humaine vivra et mourra
heureuse, dans l’ignorance. Même s’il les mène vers la mort et la destruction, ils
en seront heureux.
Les défis de l’agriculture au XXI e siècle - Leçons inaugurales du Groupe ESA