Les défis de l'agriculture mondiale - Vintage

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Les défis de l’agriculture mondiale
l’ammoniac réalisée avant le déclenchement de la Grande Guerre. Les engrais azotés
qui en découleront permettront une augmentation considérable des rendements
agricoles alors même que s’épuisaient les engrais organiques traditionnels et que la
population ne cessait de s’accroître. Au début du siècle dernier, la productivité du
blé restait inférieure à 10 quintaux l’hectare. Aujourd’hui, on dépasse régulièrement
les 90 voire les 100 quintaux/hectare et la progression due à l’introduction des
engrais azotés avant la guerre mondiale avait déjà porté les rendements autour de 40
quintaux/hectare. Grâce à lui, des dizaines de millions de personnes ont échappé à
la famine. Haber est bien un grand savant, méritant la reconnaissance de l’humanité.
Son prix Nobel est, de ce point de vue, amplement justifié. Mais c’est aussi un
patriote entièrement dévoué au succès des armées du Reich, car l’Allemagne est en
guerre à cette période. Mis à la disposition du ministère de la Guerre dès le début
des hostilités, il devient, en 1916, directeur des services chimiques de l’armée,
responsable des gaz de combat. Il supervise, en 1915, les premières attaques au
chlore dont, près de la ville belge d’Ypres, sont victimes des milliers de tirailleurs
sénégalais de l’armée française. A partir de 1916, la responsabilité de Haber dans la
préparation de gaz encore plus redoutables, le phosgène, puis l’ypérite, est totale. A
la toute fin du conflit, Haber et son équipe mettent au point le Zyklon B, qui sera
utilisé dans les chambres à gaz du Reich nazi. Pour se conformer aux conditions
de l’armistice et du traité de Versailles, ce produit sera fabriqué en tant qu’insecticide.
Fritz Haber est juif et démissionnera de son poste à l’Université en 1933,
après la promulgation des premières lois raciales du chancelier Hitler. Il mourra
peu après en exil, et ne sera pas témoin de l’élimination de ses correlégionnaires à
l’aide de sa dernière invention. Fritz Haber, bienfaiteur de l’humanité et criminel de
guerre : deux visions de la science. Mais aussi une ambivalence quasi permanente.
En 1915, après que les troupes allemandes, conseillées par Fritz, ont fait usage
du chlore, sa femme Clara, elle-même chimiste de talent, lui fait de vifs reproches.
Pour elle, la science offre de nouveaux moyens pour aider et pour servir l’homme.
Il est inconcevable qu’elle soit utilisée dans le but de tuer. Fritz Haber ne veut
rien entendre. Clara, désespérée, le soir venu, se saisit de l’arme de service de son
époux et se donne la mort. Fritz, agent de la fertilisation des sols et promoteur des
gaz de combat. Fritz et Clara : deux visages irréductibles de la science, deux types
d’expression de la responsabilité du scientifique.
Le drame de Fritz Haber, l’ambiguïté de son personnage, n’est pas sans
relation avec un deuxième exemple, illustrant ici la dissociation radicale entre la
valeur scientifique d’une découverte et ses conséquences sociales et morales. Les
pseudo-théories scientifiques fondant la politique d’hygiène raciale du Reich ont
été plus ou moins approuvées, ou au moins tolérées, par une grande partie des
biologistes allemands, y compris les plus remarquables. Dans presque tous les
pays du monde, les sociétés de génétique s’appellent sociétés eugéniques avant la
Seconde Guerre Mondiale, par référence à la théorie eugéniste qui conclut à la
Les défis de l’agriculture au XXI e siècle - Leçons inaugurales du Groupe ESA