Les défis de l'agriculture mondiale - Vintage

Le monde pourra-t-il nourrir le monde ?
23
La diffusion des progrès et des évolutions techniques permettrait de résoudre
sans tension et sans drame une partie des problèmes de l’humanité.
En revanche, certains progrès techniques posent problème. Les manipulations
génétiques ne sont pas innocentes. Ce n’est pas parce quelques équipes très
intelligentes, très douées, très compétentes, font des miracles que nous pouvons
fonder nos espérances là-dessus à la date d’aujourd’hui. Peut-être demain ? Je
l’espère, encore que je me méfie de la génétique car elle change à ce point la
nature qu’elle pose d’autres problèmes que des problèmes économiques. Elle
pose des problèmes éthiques !
Si les OGM pouvaient fonctionner comme le disent leurs vendeurs, ils
contribueraient incontestablement à la satisfaction des besoins humains. Mais à
l’heure actuelle, nous ne pouvons pas le dire avec certitude et nous n’avons pas
le droit de prendre des risques. Je ne suis pas de ceux qui refusent à tout jamais
les OGM ; cette position ne me paraît pas raisonnable. Je ne suis pas non plus
de ceux qui souhaitent qu’il y ait des OGM dans l’immédiat, cela me semble
aventureux. Il faut se donner le temps d’expérimenter car chaque année qui passe
révèle de nouveaux dangers, de nouveaux risques que représentent les OGM, soit
pour la nature, soit pour l’alimentation elle-même.
Au total, le bilan est partagé, contrasté, entre les chances qui existent de
voir le monde contenter son ambition de nourrir tout le monde et la crainte de
certains, que j’exprime, de voir le monde incapable de nourrir tout le monde.
Et j’y reviens car cela me paraît important. Méfions-nous : ceux qui
souffraient de la faim étaient des résignés... aujourd’hui, ce sont des révoltés !
Le phénomène Al Qaïda est un phénomène politico-religieux mais la sympathie
qui s’exprime à l’égard de ces terroristes dans l’Amérique latine où il n’y a pas de
musulmans, est l’expression de la révolte des pauvres contre l’inégale répartition
des richesses. Le temps de la soumission est en train de changer. Nous allons
nous trouver devant des problèmes très redoutables.
Si je fais un bilan aussi raisonnable et rationnel que possible : le monde
peut sans doute nourrir le monde, mais il ne pourra le faire qu’au prix d’efforts
tellement considérables que je doute qu’il le veuille !
Le développement
Pour être bien compris, je voudrais aller plus loin dans l’analyse. Il ne suffit pas
qu’il y ait aux Etats-Unis, en Europe ou en Russie, des montagnes de blé ou des
silos pleins de sucre (pour avoir distribué au nom de l’Europe des milliards en aide
alimentaire, je sais ce qu’est le transport du blé et du sucre ; finalement, le transport
et la distribution coûtaient beaucoup plus chers que le produit lui-même !) pour
que le monde nourrisse le monde avec moins de charges, en tenant compte de ce
Les défis de l’agriculture au XXI e siècle - Leçons inaugurales du Groupe ESA