Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
celait à son regard une mémoire collective qui remonte à la nuit des<br />
temps et correspond ainsi au «mythique pays des morts, le pays des<br />
ancêtres».<br />
Comme on le verra à travers les lignes qui suivent, plusieurs<br />
éléments dans le songe de Jung s'avèrent inhérents au concept, voire<br />
à l'image archétypique, traduisant le passage d'un état à l'autre.<br />
Passage ou rite de passage qui dans l'esprit des Anciens revêtait une<br />
importance fondamentale car gage aussi bien de la pérennité de<br />
l'Univers, que de la continuité de la nature et de l'homme ou encore<br />
celui du franchissement d'une étape de sa vie à une autre.<br />
Dans tous les cas de figures le concept de ces passages sous-tend<br />
l'idée d'une rupture avec le passé ou avec un état précédent qui permet<br />
un nouveau départ et se trouve associé, d'une manière ou d'une<br />
autre, au nombre douze. Dans les traditions indo-européennes comme<br />
dans bien d'autres. 2<br />
Pour quel raison ce nombre est-il inhérent au concept de tels<br />
passages? Dans une étude lumineuse consacrée à la période symbolique<br />
des Douze Jours qui a lieu au solstice d'hiver, période où se<br />
produit la mort du vieux soleil et la naissance du nouveau, Georges<br />
Dumézil a parfaitement cerné le sens et la symbolique de ce motif. 3<br />
Il est au départ inhérent au passage essentiel, celui d'une année à<br />
l'autre et avec lui le renouveau cosmique, gage de pérennité. Au<br />
cours de ces Douze Jours les douze mois de l'année écoulée se confondent<br />
avec les douze mois de l'année qui vient. Dans cet intervalle<br />
où le passé croise le présent et où l'avenir s'annonce déjà, les<br />
morts rejoignent les vivants alors que les vivants se livrent à des lustrations<br />
sur leurs personnes, sur leurs troupeaux, comme sur leurs<br />
maisons et leurs lieux de culte. Elles ont pour but d'expulser les impuretés<br />
du passé et de permettre un nouveau départ. Profondément<br />
ancrée, la croyance relative à cette période symbolique de douze<br />
jours a survécu dans le christianisme et fut fixée par le nouveau calendrier<br />
entre Noël l'Epiphanie.<br />
2 On doit à Mircea Eliade, Le mythe de l'éternel retour, Paris, Gallimard<br />
1969, un excellent aperçu de ce phénomène du renouveau général, des concepts,<br />
pratiques ou encore des rites et des mythe qui lui sont inhérents.<br />
3 Dans l'une de ses premières monographies, Le problème des Centaures,<br />
Étude de mythologie comparée indo-européenne, Paris, Geuthner 1929, passim et<br />
en particulier 3—50. L'étude exhaustive de Dumézil qui englobe également les Douze<br />
Jours dans les traditions chinoises demeure un ouvrage de référence à plus d'un<br />
titre. Pour une mise au point plus récente de ces croyances, voir Emilia Masson, Le<br />
Combat pour l'immortalité, héritage indo-européen dans la mythologie anatolienne,<br />
[cité ici Combat], Paris, PUF 1991, 41—58 et passim, qui fait intervenir les données<br />
du Proche Orient ancien ainsi que des survivances dans les traditions slaves.<br />
144