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— Non, répondit candidement Ragle. J’étais avec un<br />
camarade, et nous sommes restés plantés sur un îlot sale avec<br />
deux ou trois palmiers, une baraque en tôle délabrée, un<br />
émetteur radio et des instruments de mesure météo. C’est lui<br />
qui prenait les mesures, et moi je transmettais les informations<br />
à un poste de la Navy à quelques centaines de miles au sud. Ça<br />
nous prenait environ une heure par jour. Le restant de la<br />
journée, j’étais couché et j’essayais de deviner le temps qu’il<br />
allait faire. Ce n’était pas notre travail : tout ce que nous devions<br />
faire, c’était leur envoyer le relevé des instruments. C’était à eux<br />
d’en tirer les prévisions. Mais je suis devenu drôlement bon. Je<br />
pouvais observer le ciel et avec les instruments, ça me donnait<br />
de quoi faire des prévisions qui se révélaient la plupart du temps<br />
exactes.<br />
— Je suppose que les conditions météorologiques étaient de<br />
première importance pour la Navy et l’armée de terre »,<br />
chuchota Mrs. Keitelbein.<br />
À quoi il répondit : « Une tempête pouvait bouleverser une<br />
opération de débarquement, démanteler un convoi de navires<br />
de ravitaillement. Modifier le cours de la guerre.<br />
— C’est peut-être là que vous vous êtes fait la main, suggéra<br />
Walter, pour le concours ; en faisant des pronostics sur le<br />
temps. »<br />
À ces mots, Ragle ne put s’empêcher de rire. « Oui, convintil,<br />
c’est ce que nous faisions : des pronostics. Je disais par<br />
exemple qu’il allait pleuvoir à dix heures pile et lui me pariait<br />
que non. C’est comme ça que nous avons réussi à tuer lentement<br />
quelques années. En buvant de la bière, aussi. Quand on nous<br />
apportait notre ravitaillement tous les mois, on nous laissait une<br />
ration de bière standard – standard pour un bataillon, à notre<br />
avis. Le seul ennui, c’était que nous n’avions rien pour la<br />
refroidir. De la bière tiède, tous les jours. » Ces souvenirs le<br />
ramenaient douze, treize ans en arrière… Il avait trente-trois<br />
ans et travaillait dans une blanchisserie quand l’avis de<br />
mobilisation était tombé dans sa boîte aux lettres.<br />
« Dis, maman, s’écria Walter avec entrain. Je viens d’avoir<br />
une idée formidable : et si M. Gumm venait parler aux réunions<br />
de ses expériences militaires ? Il pourrait donner aux gens<br />
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