L'éTAT de VILLes AFrIcAINes - UN-Habitat
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cHAPITre QUATre<br />
132<br />
Faire Face à L’inégalité et à la Fragmentation<br />
Urbaines<br />
C’est l’inégalité d’accès aux services sociaux et aux équipements<br />
urbains élémentaires, combinée avec <strong>de</strong>s rapports <strong>de</strong> force politiques<br />
très déséquilibrés, qui est à l’origine <strong>de</strong> la fragmentation physique<br />
et sociale qui caractérise les villes d’Afrique <strong>de</strong> l’Est. Les quartiers<br />
pauvres informels mal <strong>de</strong>sservis à tous égards contrastent avec les<br />
zones rési<strong>de</strong>ntielles <strong>de</strong>s classes aisées dont les équipements collectifs<br />
sont très supérieurs et qui bénéficient d’une abondance <strong>de</strong> biens<br />
publics. L’inégalité en milieu urbain n’est toutefois pas seulement<br />
fonction <strong>de</strong> l’accès aux services et équipements collectifs. Elle tient<br />
aussi aux différences <strong>de</strong> <strong>de</strong>nsité démographique. Cela fait bien <strong>de</strong>s<br />
années que les citadins pauvres d’Afrique <strong>de</strong> l’Est ont à subir les<br />
<strong>de</strong>nsités extrêmes et mal tolérables que l’on retrouve aujourd’hui<br />
<strong>de</strong> plus en plus dans les gran<strong>de</strong>s tours rési<strong>de</strong>ntielles <strong>de</strong>stinées aux<br />
ménages à revenus moyens, aussi bien à Dar es Salaam qu’à Kampala<br />
ou Nairobi, et qui sont en passe <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir <strong>de</strong>s “taudis verticaux”.<br />
La cohabitation multiple dans une seule pièce est <strong>de</strong>venue un mo<strong>de</strong><br />
d’habitat locatif normal pour <strong>de</strong> nombreux citadins. Dès 1981, c’est<br />
déjà plus <strong>de</strong> 80 pour cent <strong>de</strong> la population <strong>de</strong> Nairobi qui se logeait<br />
ainsi, surtout dans le centre, ce qui contrastait fortement avec les<br />
superficies <strong>de</strong> l’habitat rési<strong>de</strong>ntiel à très faible <strong>de</strong>nsité qui caractérise<br />
les banlieues vertes <strong>de</strong> la ville.<br />
La pauvreté étant <strong>de</strong>venue endémique et structurelle dans les villes<br />
d’Afrique <strong>de</strong> l’Est, le décloisonnement socio-économique par la voie<br />
professionnelle ou les relations sociales comme le mariage <strong>de</strong>vient<br />
encore plus difficile. Cela crée un cercle vicieux <strong>de</strong> pauvreté urbaine<br />
auquel il <strong>de</strong>vient <strong>de</strong> plus en plus difficile d’échapper. Il est aussi <strong>de</strong><br />
plus en plus difficile d’ignorer les signes <strong>de</strong> fragmentation sociale<br />
en fonction <strong>de</strong> l’ethnie ou <strong>de</strong> la religion, d’où <strong>de</strong>s phénomènes <strong>de</strong><br />
polarisation et <strong>de</strong> tension qui à leur tour aboutissent à l’apparition<br />
<strong>de</strong> “communautés <strong>de</strong> la peur”. Par exemple à Nairobi, <strong>de</strong>s groups<br />
ethniques ou tribaux profitent <strong>de</strong> la faiblesse <strong>de</strong>s dispositifs <strong>de</strong><br />
maintien <strong>de</strong> l’ordre pour s’engager dans l’extorsion et autres activités<br />
répréhensibles. 10 Il s’agit là d’un <strong>de</strong>s types <strong>de</strong> comportement que<br />
peut susciter l’absence <strong>de</strong> véritables politiques sociales en milieu<br />
urbain. Si l’on persiste à ne pas satisfaire les besoins <strong>de</strong>s pauvres qui<br />
forment la majorité <strong>de</strong>s populations urbaines d’Afrique, il ne peut<br />
en résulter qu’une aggravation <strong>de</strong> l’insécurité, <strong>de</strong> l’agitation sociale<br />
et <strong>de</strong>s troubles politiques.<br />
C’est toujours à Nairobi que l’on peut trouver le parfait exemple<br />
<strong>de</strong> la montée <strong>de</strong> l’insécurité qui résulte <strong>de</strong>s inégalités et du manque<br />
<strong>de</strong> véritables politiques sociales, d’aménagement, du logement et du<br />
travail : il s’agit <strong>de</strong> l’apparition <strong>de</strong>s Mungiki <strong>de</strong> la tribu Kikuyu et <strong>de</strong> la<br />
milice Taliban <strong>de</strong> la tribu Luo. Ces organisations criminelles politicoreligieuses<br />
sont issues <strong>de</strong>s anciennes milices politiques privées qui ont<br />
commencé à se nourrir <strong>de</strong> l’insécurité chronique et <strong>de</strong> la pauvreté<br />
dans la capitale en pratiquant la terreur, l’enlèvement crapuleux et<br />
le racket. Ces pratiques aboutissent souvent à l’assassinat <strong>de</strong> ceux<br />
qui en sont les victimes, et ces milices agissent désormais en toute<br />
impunité. Si elles veulent venir à bout <strong>de</strong> ces groupes <strong>de</strong> criminels,<br />
les autorités kenyanes doivent s’attaquer à leurs causes profon<strong>de</strong>s,<br />
à savoir: (a) améliorer l’accès au foncier et au logement pour les<br />
pauvres qui constituent la majorité <strong>de</strong>s populations urbaines ; (b)<br />
s’attaquer au chômage massif <strong>de</strong>s jeunes; et (c) satisfaire les besoins<br />
en services sociaux et équipements collectifs <strong>de</strong>s catégories les plus<br />
pauvres <strong>de</strong> la population <strong>de</strong> Nairobi 11 . Entretemps, tout <strong>de</strong>vrait être<br />
fait pour i<strong>de</strong>ntifier les coupables et les traduire en justice.<br />
Pour le moment, les interventions publiques globales et à l’échelle<br />
d’une ville entière restent très rares en Afrique <strong>de</strong> l’Est. La faiblesse<br />
<strong>de</strong> la volonté politique et une mauvaise compréhension <strong>de</strong>s causes<br />
mêmes <strong>de</strong>s systèmes socio-économiques informels expliquent que<br />
l’amélioration <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> vie <strong>de</strong>s citadins pauvres ne mobilise<br />
guère l’investissement public. De fait, les établissements humains<br />
irréguliers sont rarement perçus pour ce qu’ils sont vraiment : une<br />
réaction naturelle, conforme à la loi <strong>de</strong> l’offre et <strong>de</strong> la <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, aux<br />
restrictions qui empêchent l’accès normal à un logement décent et<br />
d’un coût abordable pour les catégories plus pauvres <strong>de</strong> la population.<br />
Les liens entre logement et économie informels ne sont toujours pas<br />
largement compris non plus (voir Encadré 4.3). Jusqu’à présent,<br />
le type <strong>de</strong> politique le plus répandu en Afrique <strong>de</strong> l’Est consistait<br />
à déclarer illégaux l’habitat spontané et l’accès au foncier par <strong>de</strong>s<br />
voies irrégulières. Or on ne saurait considérer comme raisonnable<br />
une généralisation péremptoire qui rejette les responsabilités sur les<br />
rési<strong>de</strong>nts <strong>de</strong>s établissements irréguliers et <strong>de</strong>s taudis, plutôt que sur<br />
<strong>de</strong>s pouvoirs publics qui n’ont pas su mettre au point les politiques<br />
urbaines, sociales et <strong>de</strong> l’habitat qui bénéficient à la majorité <strong>de</strong>s<br />
citadins. Comme détaillé dans la section 4.3, l’Afrique <strong>de</strong> l’Est<br />
dispose d’un certain nombre <strong>de</strong> possibilités tout à la fois réalistes<br />
et bénéfiques.<br />
s<br />
Une mère et son enfant fuient une attaque surprise <strong>de</strong> la police, en vue d’éradiquer la<br />
menace que pose la secte «Mungiki», Mathare, bidonville <strong>de</strong> Nairobi.<br />
©Julius Mwelu/irin