L'éTAT de VILLes AFrIcAINes - UN-Habitat
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Economie Politique <strong>de</strong>s Marchés Fonciers<br />
Urbains<br />
L’occupation foncière est une relation sociale d’appropriation et<br />
d’exclusion. La terre représente la puissance sur le plan politique,<br />
social et économique. Dans tous les pays <strong>de</strong> la sous-région, la<br />
législation foncière est basée sur le principe <strong>de</strong> domanialité, qui<br />
reconnaît au gouvernement le monopole exclusif sur tout terrain sans<br />
propriétaire et non titré. Ce principe est un héritage <strong>de</strong>s systèmes<br />
coloniaux français et portugais et <strong>de</strong> nos jours, les gouvernements<br />
qui ont pris la relève après les indépendances, les maintiennent<br />
au nom <strong>de</strong> l’unité nationale et du développement économique. Il<br />
constitue le cadre d’attribution <strong>de</strong>s terrains relevant du domaine <strong>de</strong><br />
l’Etat et d’accès à la propriété foncière. Dans la pratique, le principe<br />
<strong>de</strong> domanialité varie en fonction <strong>de</strong>s pays. Il peut, par exemple,<br />
reconnaître ou ne pas reconnaître les droits coutumiers – le principe<br />
<strong>de</strong> base <strong>de</strong>meure le même : il classe dans le domaine <strong>de</strong> l’Etat, toute<br />
propriété domaniale non couverte par un titre foncier.<br />
Ce système confère à l’administration publique un pouvoir<br />
discrétionnaire en matière d’attribution <strong>de</strong> terrains, reconnaît les<br />
droits coutumiers et officialise les occupations informelles <strong>de</strong> terrains<br />
selon les termes et conditions définis par la loi. S’agissant du principe<br />
<strong>de</strong> la domanialité, la prérogative <strong>de</strong> l’Etat défère aux agents <strong>de</strong> la<br />
fonction publique une position <strong>de</strong> pouvoir, à partir du moment<br />
où ils ont la possibilité d’attribuer arbitrairement (moyennant<br />
une somme modique) <strong>de</strong>s droits fonciers qui peuvent, par la<br />
suite, être transférés aux prix du marché. Dans beaucoup <strong>de</strong> pays<br />
d’Afrique centrale où les pratiques démocratiques et les procédures<br />
transparentes <strong>de</strong> gestion foncière ne sont pas <strong>de</strong>s pratiques courantes,<br />
cet usage est profondément enraciné dans les services chargés <strong>de</strong><br />
l’administration foncière et a pour vocation <strong>de</strong> favoriser les protégés<br />
du gouvernement. Ce procédé ne sert pas seulement <strong>de</strong> levain à la<br />
corruption, mais alimente également les rivalités entre les différents<br />
organismes <strong>de</strong> l’administration publique chargé <strong>de</strong> la gestion et <strong>de</strong><br />
l’administration foncières. Cette situation constitue un puissant<br />
obstacle à la décentralisation <strong>de</strong> la gouvernance foncière, en raison<br />
du fait que le transfert <strong>de</strong>s prérogatives domaniales aux collectivités<br />
locales prive les services d’administration foncière relevant du<br />
gouvernement central <strong>de</strong>s ressources censées leur revenir et <strong>de</strong> leur<br />
pouvoir d’intervention (CNUEH, 1999).<br />
‘La légalité contre.la légitimité coutumière’ constitue un autre<br />
aspect du conflit qui prévaut entre les institutions statutaires et<br />
les institutions non statutaires. C’est la raison pour laquelle, en<br />
Afrique centrale, les gouvernements font montre <strong>de</strong> réticence pour<br />
reconnaître officiellement les droits coutumiers. Lorsque ces droits<br />
sont reconnus, à l’instar du Cameroun, les transferts <strong>de</strong>s terrains<br />
coutumiers ne sont pas autorisés, ou bien sont strictement limités. En<br />
Angola, les droits d’utilisateurs conférés par les autorités coutumières<br />
sont reconnus ; c’est la seule et pratiquement l’unique exception dans<br />
la sous-région, même si l’avènement <strong>de</strong>s marchés fonciers coutumiers<br />
est appelé à priver les institutions foncières gouvernementales <strong>de</strong> leur<br />
monopole <strong>de</strong> fait sur les terres. Paradoxalement, il s’avère pourtant<br />
que la légitimité <strong>de</strong>s institutions coutumières n’est pas remise en<br />
question. Leur rôle en matière <strong>de</strong> contrôle social est reconnu, ainsi<br />
que leur contribution fondamentale à la fourniture <strong>de</strong>s terrains<br />
disponibles pour le logement. C’est tout simplement en tant<br />
qu’entités juridiques qu’elles ne sont pas reconnues, ce qui revient<br />
à dire qu’elles n’ont pas la possibilité <strong>de</strong> produire tous les avantages<br />
découlant <strong>de</strong>s transactions foncières sur les propriétés qu’elles<br />
administrent, à partir où la livraison d’une propriété foncière reste<br />
une prérogative gouvernementale.<br />
Aucun pays d’Afrique centrale n’a lancé <strong>de</strong> programme<br />
d’officialisation ni <strong>de</strong> régularisation <strong>de</strong> jouissance foncière, même<br />
lorsqu’ils sont dotés d’instruments juridiques, à l’instar du Cameroun<br />
et <strong>de</strong> l’Angola. L’absence <strong>de</strong> régularisation <strong>de</strong> l’occupation foncière est<br />
toujours justifiée par <strong>de</strong>s arguments techniques, tels que le manque<br />
<strong>de</strong> capacités d’administration ou le statut illégal <strong>de</strong>s agglomérations,<br />
une situation qui laisse prévoir les tentatives <strong>de</strong>s groupes d’intérêt au<br />
sein <strong>de</strong>s appareils d’Etat dont le jeu consiste à maintenir la pénurie<br />
<strong>de</strong> terrains sur les marchés fonciers, aussi longtemps que l’acquisition<br />
illégale mais tolérée <strong>de</strong>s terrains à travers la filière informelle<br />
coutumière joue le rôle <strong>de</strong> ‘soupape <strong>de</strong> sécurité’ pour combler la<br />
pénurie <strong>de</strong> logement disponible en milieu urbain.<br />
La Terre Comme Source <strong>de</strong> Recettes<br />
Municipales<br />
A Libreville, Luanda et Malabo, les autorités publiques ont, par le<br />
passé, eu recours à une variété d’instruments (y compris les contrats<br />
<strong>de</strong> location et <strong>de</strong> vente pure et simple) pour saisir l’augmentation<br />
rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong> la valeur <strong>de</strong>s terrains et utiliser les recettes pour investir<br />
dans les infrastructures. La maîtrise <strong>de</strong> la valeur <strong>de</strong> la terre est en effet<br />
l’une <strong>de</strong>s meilleures modalités <strong>de</strong> récupération <strong>de</strong> plusieurs coûts <strong>de</strong>s<br />
infrastructures urbaines. Mais en ce moment où les villes d’Afrique<br />
centrale sont confrontées à une rapi<strong>de</strong> escala<strong>de</strong> <strong>de</strong> prix <strong>de</strong>s terrains<br />
urbains, les ventes <strong>de</strong>s terrains relevant du domaine <strong>de</strong> l’Etat par<br />
les autorités locales et municipales sont <strong>de</strong> plus en pus entachées<br />
d’un manque <strong>de</strong> transparence, <strong>de</strong> prise <strong>de</strong> décisions secrètes et<br />
<strong>de</strong> corruption. Lorsque la gouvernance est faible et hautement<br />
corrompue, les propriétés foncières urbaines appartenant à l’Etat<br />
sont confisquées par les politiciens ou les officiers supérieurs <strong>de</strong><br />
l’armée et vendues aux entreprises locales ou illégalement transférées<br />
aux acquéreurs étrangers.<br />
Partout dans toute la sous-région, <strong>de</strong>s protestations locales<br />
contre l’achat <strong>de</strong> terres publiques par les entreprises <strong>de</strong> l’Extrême-<br />
Orient, les Etats du Golfe ou les multinationales occi<strong>de</strong>ntales se<br />
font <strong>de</strong> plus en plus entendre en hausse. A moins <strong>de</strong> freiner les<br />
ventes illégales <strong>de</strong> cette ressource municipale non renouvelable,<br />
le résultat sera certainement les expulsions massives <strong>de</strong> plus<br />
en plus fréquentes <strong>de</strong>s citadins pauvres et à revenu moyen et<br />
inférieur, ainsi que la perte d’importantes sources <strong>de</strong> financement<br />
appartenant aux municipalités elles-mêmes. La réalité, cependant,<br />
est que <strong>de</strong> nombreux pays ou <strong>de</strong>s villes d’Afrique centrale n’ont<br />
pas <strong>de</strong> mécanismes juridiques ou administratifs adéquats visant<br />
à protéger les terres publiques. Les services <strong>de</strong> recouvrement<br />
<strong>de</strong>s recettes manquent souvent <strong>de</strong> personnels, ce qui les rend<br />
inefficaces, en même temps que d’importants montants <strong>de</strong> recettes<br />
perçues n’atteignent jamais les comptes <strong>de</strong>s collectivités locales.<br />
C’est dans ce contexte que <strong>de</strong>s terrains urbains ont cessé <strong>de</strong> servir<br />
<strong>de</strong> principale source <strong>de</strong> recettes municipales dans <strong>de</strong> nombreuses<br />
villes d’Afrique centrale. A Bangui, Brazzaville, Kinshasa et<br />
Yaoundé, les ventes <strong>de</strong> terrains ont pratiquement cessé <strong>de</strong> financer<br />
les infrastructures urbaines, ou même <strong>de</strong> renforcer les recettes<br />
publiques. La corruption est <strong>de</strong>venue si banale qu’elle entrave<br />
désormais les processus <strong>de</strong> développement urbain. Il faudrait, <strong>de</strong><br />
toute urgence, ouvrir un débat sur l’utilisation <strong>de</strong>s revenus fonciers,<br />
l’administration <strong>de</strong>s terres et la gestion <strong>de</strong>s terres en vue d’explorer<br />
les solutions alternatives viables, et <strong>de</strong> permettre à l’espace urbain<br />
<strong>de</strong> jouer, une fois <strong>de</strong> plus, son rôle crucial dans le financement <strong>de</strong>s<br />
municipalités.