Katalog 2013.pdf - Visions du Réel
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éditorial<br />
éditorial<br />
par LUCIANO barisone, directeur visions <strong>du</strong> réel<br />
« Les hommes s’en<br />
vont admirer les cimes<br />
des montagnes,<br />
les vagues de la mer,<br />
le vaste cours des fleuves,<br />
les circuits de l’Océan,<br />
les révolutions des astres,<br />
et ils se délaissent<br />
eux-mêmes.»<br />
Saint Augustin,<br />
« Les Confessions »<br />
Il y a plus d’un siècle, l’image d’un train<br />
faisait irruption dans une salle obscure<br />
donnant naissance à un phénomène qui<br />
aurait marqué la modernité. Le cinéma<br />
a pris forme de la sorte. Un cadre, celui<br />
de la peinture, <strong>du</strong> théâtre, de la photographie<br />
et, à l’intérieur de ce cadre, des<br />
figures en mouvement, objets, phénomènes<br />
naturels et corps humains donnaient<br />
l’« image » la plus proche, la plus<br />
vraisemblable, <strong>du</strong> monde réel. Mais<br />
parce que des choses réelles devenaient<br />
« images », elles ne représentaient alors<br />
plus seulement le concret mais quelque<br />
chose dépassant les limites physiques<br />
de l’instant présent. A travers le cinéma,<br />
elles rentraient dans la mémoire <strong>du</strong><br />
monde, elles devenaient universelles.<br />
Une fois représenté, le réel se transformait<br />
ainsi en mythe.<br />
Cependant, tout ce processus n’était<br />
pas complètement nouveau. Il l’était sur<br />
le plan technique et vis-à-vis de l’effet<br />
médiatique de masse généré, mais il ne<br />
l’était pas <strong>du</strong> tout dans son dispositif<br />
de narration qui correspondait à celui<br />
déjà adopté à l’aube de la civilisation<br />
humaine, quand l’expérience de l’ailleurs<br />
était rapportée par le récit oral ou figuratif<br />
et amenait à des réflexions sur le<br />
monde. Car chercher l’ailleurs n’a jamais<br />
seulement été question de voyager,<br />
d’arpenter la terre, de chercher des lieux<br />
et des personnes inconnues. Chercher<br />
l’autre revient toujours à se chercher<br />
soi-même.<br />
Pour arriver à ce « moi » – caché derrière<br />
cet « autre » –, il faut une rencontre, un<br />
partage, une nécessité, une foi. Cette<br />
volonté de construire une « image » renvoie<br />
à la possibilité de filmer le visible<br />
pour capter ce qui ne l’est pas. C’est-àdire<br />
filmer l’homme pour parler de l’humanité,<br />
la parole pour cerner la pensée,<br />
le corps pour apercevoir l’âme. Au final,<br />
il s’agit de filmer l’« invisible ».<br />
C’est ce que laissait entendre Gilles<br />
Deleuze quand il disait que les cinéastes<br />
sont des penseurs qui pensent avec<br />
des images-mouvement et des imagestemps<br />
plutôt qu’avec des concepts. C’est<br />
ce que vit Pétrarque, poète italien exilé à<br />
Carpentras, à la fin de son ascension <strong>du</strong><br />
Mont Ventoux, quand le vaste paysage<br />
lui inspira une vision foudroyante de sa<br />
propre existence. C’est ce que voient<br />
également les auteurs des 110 films en<br />
compétition, programmés par <strong>Visions</strong> <strong>du</strong><br />
Réel – une sélection qui adopte des critères<br />
tels que la qualité des récits cinématographiques,<br />
la liberté d’expression<br />
artistique, le respect <strong>du</strong> spectateur et<br />
de la personne filmée – ainsi que ceux<br />
de la section Focus sur la pro<strong>du</strong>ction<br />
libanaise contemporaine et des Ateliers,<br />
consacrés cette année à la réalisatrice<br />
lettone Laila Pakalnina et au cinéaste<br />
israélien Eyal Sivan.<br />
Le Festival, qui se prépare à fêter l’an<br />
prochain un important anniversaire<br />
(les 45 ans <strong>du</strong> Festival et les 20 ans<br />
de <strong>Visions</strong> <strong>du</strong> Réel), reste le lieu de la<br />
convivialité qu’il a toujours été, le lieu<br />
d’une possible rencontre entre l’image<br />
et la parole, le cinéma et la pensée,<br />
ceux qui font les films et ceux qui les<br />
voient. Le tout sous le signe de l’humain,<br />
de l’expérience qui nous imprègne tous,<br />
acteurs et spectateurs <strong>du</strong> monde.<br />
Si les fils rouges de cette édition sont<br />
nombreux, ce n’est cependant pas à<br />
nous de tous les signaler : laissons ce<br />
plaisir aux spectateurs qui retrouveront<br />
des aspects de leur vie dans les histoires<br />
racontées et se laisseront sé<strong>du</strong>ire<br />
par le jeu des renvois, des analogies,<br />
des contrastes, en participant ainsi à la<br />
construction même <strong>du</strong> Festival à travers<br />
la confrontation et la réflexion. De notre<br />
côté, nous y avons trouvé des thématiques<br />
importantes telles que l’exploration<br />
et la découverte, déclinées sous leur<br />
aspect politique, social et économique.<br />
Sans oublier leur éclairage humain,<br />
intime, privé.<br />
Face aux contradictions <strong>du</strong> système<br />
globalisé, le monde se cherche un avenir<br />
possible. Après les révoltes sociales<br />
de ces dernières années qui ont touché<br />
l’Occident, l’Orient ou encore le<br />
monde arabe, les cinéastes de toutes<br />
les régions <strong>du</strong> globe réfléchissent à la<br />
situation actuelle, explorent de nouveaux<br />
modes de vie, imaginent le futur.<br />
Les films de cette édition témoignent de<br />
cet état des choses ; ils en sont d’une<br />
certaine façon le fruit, d’un point de vue<br />
formel également.<br />
Pour le poète italien <strong>du</strong> XVI e siècle le<br />
Tasse, la création artistique doit être<br />
comme un médicament amer que l’on<br />
dissimule sous un goût sucré. Adoptant<br />
pour leurs récits des formes esthétiques<br />
et narratives qui invitent le spectateur au<br />
voyage, à la rencontre, au rêve, les films<br />
de <strong>Visions</strong> <strong>du</strong> Réel se placent dans un<br />
espace où la douce explosion des sentiments<br />
et l’amère lucidité de la pensée<br />
se rencontrent.<br />
Luciano Barisone