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Rafael Benítez, Universidad de Valencia - framespa

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Dès lors, il s’agira d’étudier les conséquences du déplacement, rapprochement et<br />

renforcement <strong>de</strong> la frontière vénitienne, et <strong>de</strong> déterminer les types <strong>de</strong> conflits qui furent<br />

provoqués par <strong>de</strong> tels événements. Enfin, quelle lumière ces conflits temporaires et<br />

circonstanciés apportent-ils sur la nature du lien social à Venise ? C’est sur cette question que<br />

nous voudrions conclure.<br />

La frontière vénitienne<br />

Les recherches récemment consacrées aux sociétés <strong>de</strong> frontière à l’époque médiévale, en<br />

particulier dans les cas espagnol et britannique, ont inauguré <strong>de</strong> nombreuses discussions sur le<br />

caractère spécifique <strong>de</strong> ce type <strong>de</strong> société 145 . Sans revenir ici sur les enjeux historiographiques<br />

<strong>de</strong>s débats, ni sur les éventuelles caractéristiques que l’on pourrait attribuer aux sociétés <strong>de</strong><br />

frontière, retenons toutefois le caractère multiforme généralement admis <strong>de</strong> ce type <strong>de</strong> société.<br />

Il serait ainsi inutile <strong>de</strong> chercher à établir un idéal-type <strong>de</strong> la société <strong>de</strong> frontière. Face à la<br />

gran<strong>de</strong> variété <strong>de</strong> modèles disponibles, il convient davantage <strong>de</strong> se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r dans quelle<br />

mesure Venise peut être intégrée dans cette réflexion et <strong>de</strong> considérer les éléments du débat à<br />

la lueur <strong>de</strong> cet exemple.<br />

Les récents travaux consacrés aux États <strong>de</strong> l’Italie du nord à la fin du Moyen Âge ont mis en<br />

avant les réflexions en termes <strong>de</strong> territoire et <strong>de</strong> centre et périphérie 146 . En effet, le<br />

développement <strong>de</strong>s contadi autour <strong>de</strong>s plus gran<strong>de</strong>s cités avait donné à l’espace italien une<br />

configuration particulière dont découlait une définition spécifique <strong>de</strong> la frontière. Ainsi, si la<br />

frontière peut généralement être définie comme « la périphérie <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ou plusieurs<br />

formations politiques » 147 , la question est souvent plus complexe dans le cas italien. Les<br />

territoires soumis aux villes <strong>de</strong> Florence, Venise ou Gênes mettaient à distance la frontière.<br />

Ces espaces n’étaient pas d’une définition aisée. En terme <strong>de</strong> droit et <strong>de</strong> pouvoir, ils ne<br />

pouvaient être considérés comme équivalent au territoire <strong>de</strong> la capitale. Néanmoins, ils étaient<br />

part d’un Stato et bénéficiaient <strong>de</strong> ce fait <strong>de</strong> certains droits et privilèges.<br />

Dans le cas <strong>de</strong> Venise, la question recouvre <strong>de</strong>ux problèmes <strong>de</strong> nature différente. D’une part,<br />

la lagune constituait, à l’origine, le contado <strong>de</strong> Venise, et par conséquent la première frontière<br />

autour la ville, la protégeant d’attaques tant terrestres que maritimes : à l’ouest et au nord,<br />

Venise se défendait ainsi d’éventuelles incursions venues <strong>de</strong>s territoires italiens ; au sud et à<br />

l’est, les lidi fermant la lagune étaient autant <strong>de</strong> barrières naturelles contre les dangers <strong>de</strong><br />

l’Adriatique. Jusqu’à la conquête <strong>de</strong> la Terre ferme, entre 1390 et 1410, la lagune fut le<br />

véritable contado <strong>de</strong> Venise.<br />

La particularité du site constituait l’un <strong>de</strong>s fon<strong>de</strong>ments du mythe <strong>de</strong> Venise : Vénus née <strong>de</strong>s<br />

eaux calmes du nord <strong>de</strong> l’Adriatique, vierge immaculée et protégée par les eaux saumâtres,<br />

même si menacée par la mer. Les chroniqueurs médiévaux firent <strong>de</strong> cette rhétorique l’un <strong>de</strong>s<br />

topos <strong>de</strong> la mythologie vénitienne. Déjà Cassiodore au VI e siècle évoquait-il ces habitants,<br />

« oiseaux <strong>de</strong> mer, vivant sur l’eau ou sur la terre », qui attachaient leur navire au mur comme<br />

on attache un cheval. A sa suite, chroniqueurs, sénateurs, stratèges et diplomates ne cessèrent<br />

<strong>de</strong> faire <strong>de</strong> cette rhétorique l’un <strong>de</strong>s thèmes récurrents <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> Venise. La lagune,<br />

réputée infranchissable, protégeait donc la ville et ses habitants, assurant à la société<br />

vénitienne une extrême stabilité.<br />

Encore au début du XVI e siècle, cette idée restait forte pour les contemporains. Venise n’avait<br />

jamais été directement attaquée, envahie, mise en péril par <strong>de</strong>s troupes étrangères. Les seules<br />

145 Voir en particulier A. Goodman, A. Tuck (éd.), War and Bor<strong>de</strong>r societies in the Middle Ages, Londres, New York, 1992 ;<br />

Las socieda<strong>de</strong>s <strong>de</strong> frontera en la España medieval, Saragosse, 1993 ; R. Bartlett, A. MacKay (éds.), Medieval Frontier<br />

Societies, Oxford, 1989.<br />

146 E. Fasano Guarini, « Center and Periphery », The origins of the State in Italy, 1300-1600, J. Kirshner (éd.), Chicago et<br />

Londres, 1995, p. 74-96.<br />

147 Pascal Buresi, La Frontière entre chrétienté et Islam dans la péninsule Ibérique. Du Tage à la Sierra Morena (fin XI e -<br />

milieu XIII e siècle), Paris, 2004, p. 25.<br />

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