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Rafael Benítez, Universidad de Valencia - framespa

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Le service étranger s’inscrit dans la même logique. Le statut juridique, précisé dans les<br />

capitulations signées au moment <strong>de</strong> la levée du régiment, doit permettre au recruteur <strong>de</strong><br />

trouver <strong>de</strong>s volontaires puis <strong>de</strong> générer un flux migratoire tendu <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s communautés<br />

situées hors <strong>de</strong> la souveraineté du roi. Néanmoins, par rapport au service <strong>de</strong>s sujets, les<br />

privilèges accordés aux militaires non régnicoles insistent généralement sur le maintien d’une<br />

série <strong>de</strong> caractères liés au lieu d’origine (langue maternelle, emblèmes <strong>de</strong>s communautés<br />

d’origine, vêtements traditionnels, armes spécifiques, etc.). Fruit d’une négociation, ce statut<br />

juridique permet aux commandants recruteurs <strong>de</strong> garantir une filière professionnelle réservée<br />

sur laquelle ils ont le contrôle et qui leur permet <strong>de</strong> renforcer leur position sociale dans leurs<br />

communautés d’origine. D’autre part, ce statut permet au pouvoir royal <strong>de</strong> pousser à son<br />

terme la logique <strong>de</strong> différenciation entre l’armée et la société. Les monarchies se sont toujours<br />

efforcées <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s soldats <strong>de</strong>s étrangers sociaux. En exacerbant les traits ethniques <strong>de</strong>s<br />

unités non régnicoles, elles dressent une frontière qui se veut totalement hermétique. Dans<br />

certains cas, cet agencement socio-juridique contribue à la construction <strong>de</strong> représentations<br />

sociales qui postulent un lien nécessaire entre l’origine <strong>de</strong> certains individus et le métier <strong>de</strong>s<br />

armes. Ainsi, en France, sous Louis XV, il est communément admis que les Hongrois ont <strong>de</strong>s<br />

qualités spécifiques qui les prédisposent à servir dans la cavalerie légère. L’ethnicisation <strong>de</strong>s<br />

régiments <strong>de</strong> hussards dans l’imaginaire collectif est donc le fruit d’une politique active du<br />

pouvoir royal 17 .<br />

La formation <strong>de</strong> régiments étrangers suppose la création d’un espace socioprofessionnel ex<br />

nihilo résultant d’un accord passé entre le pouvoir royal et <strong>de</strong>s élites extérieures au royaume.<br />

L’action législative du roi invente un espace frontalier au cœur <strong>de</strong> l’Etat. D’un point <strong>de</strong> vue<br />

juridique, les privilèges <strong>de</strong> nations ne se distinguent en rien <strong>de</strong>s autres formes <strong>de</strong> statuts<br />

attachés aux corps et aux communautés. Ils ont simplement la particularité <strong>de</strong> stigmatiser <strong>de</strong>s<br />

traits culturels à <strong>de</strong>s fins politiques. L’introduction du politique dans l’analyse <strong>de</strong>s régiments<br />

étrangers permet donc <strong>de</strong> ramener la frontière ethnique à <strong>de</strong>s proportions plus raisonnables.<br />

Elle n’est plus une donnée première mais le fruit d’une construction politique. Réinsérée dans<br />

l’ordre juridique d’Ancien Régime, la frontière juridico-ethnique peut commencer à être<br />

envisagée sur le même plan que le reste <strong>de</strong>s statuts et <strong>de</strong>s privilèges.<br />

Toutefois, une nouvelle question surgit : la relativisation du caractère ethnique <strong>de</strong> la frontière<br />

rend-elle toujours notre proposition <strong>de</strong> départ valable ? L’assimilation <strong>de</strong>s différences<br />

ethniques à <strong>de</strong> simples privilèges juridiques conduit-elle à ramener les régiments étrangers sur<br />

le même plan que toute l’institution militaire sans que rien ne permette <strong>de</strong> leur conférer la<br />

spécificité d’une institution frontalière ? En somme, alors qu’une définition <strong>de</strong> cette frontière<br />

institutionnelle en termes ethniques tendait à singulariser les régiments étrangers à l’excès, à<br />

présent, une définition <strong>de</strong> cette même frontière en termes juridiques tendrait à les banaliser.<br />

En réalité, nous atteignons les limites <strong>de</strong> notre approche. Jusqu’à maintenant, nous avons tenté<br />

<strong>de</strong> définir les caractéristiques <strong>de</strong> notre terrain en partant <strong>de</strong> l’analyse <strong>de</strong> la frontière. Pour<br />

comprendre la spécificité <strong>de</strong>s régiments étrangers, en tant qu’institution frontalière, nous<br />

<strong>de</strong>vons nous pencher non plus sur la frontière elle-même mais sur les mécanismes sociaux qui<br />

s’organisent autour d’elle.<br />

B. Patronage et nation : la gar<strong>de</strong> royale <strong>de</strong>s Bourbons d’Espagne<br />

Les gar<strong>de</strong>s royales <strong>de</strong>s Bourbons d’Espagne constituent un cas intéressant justement parce<br />

que leur statut juridique a relativement fait peu <strong>de</strong> cas <strong>de</strong>s traits ethniques. En effet, pour <strong>de</strong>s<br />

raisons liées au contexte du conflit successoral, les Bourbons ont conservé la structure<br />

multinationale <strong>de</strong> la gar<strong>de</strong> habsbourgeoise – constituée d’une compagnie espagnole, une<br />

17 F. Tóth, « I<strong>de</strong>ntité nationale en exil: le rôle du sentiment national hongrois dans la constitution <strong>de</strong>s régiments hussards en<br />

France au XVIIIe siècle », dans D. Bell, L. Pimenova, S. Pujol (éds.), La Recherche dix-huitiémiste. Raison universelle et<br />

culture nationale au siècle <strong>de</strong>s Lumières, Paris, 1999, p. 91-107.<br />

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