Rafael BenÃtez, Universidad de Valencia - framespa
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manière dont les liens entre les individus se structurent. L’institution <strong>de</strong>vient frontalière parce<br />
qu’elle est constituée d’individus qui déploient leurs tissus relationnels dans un seul et même<br />
espace. Une institution <strong>de</strong> ce type repose sur un équilibre fragile puisque son existence est<br />
tributaire <strong>de</strong>s pratiques endogamiques <strong>de</strong>s individus. Toute transgression <strong>de</strong> la frontière vers<br />
l’extérieur met en péril l’organisation sociale qui régit l’institution.<br />
Le dépaysement <strong>de</strong> la problématique <strong>de</strong>s sociétés <strong>de</strong> frontière, proposé en tête du travail,<br />
permet d’i<strong>de</strong>ntifier plus précisément ce qui caractérise les espaces frontaliers. La nature<br />
intrinsèque <strong>de</strong> la frontière (géographique, politique, juridique, ethnique) ne suffit pas à définir<br />
un espace frontalier. Il s’agit avant tout d’un espace où le tissu social est <strong>de</strong>nse par<br />
comparaison avec d’autres espaces qui le jouxtent. Les limites <strong>de</strong> cet espace ne sont pas<br />
nettes. Elles sont le fruit d’une négociation permanente entre les acteurs.<br />
Dans une institution communautaire, comme les régiments étrangers, où la cohésion est très<br />
forte, les conflits internes vont fragiliser considérablement tant l’institution que la<br />
communauté. Par conséquent, après avoir défini, les caractéristiques <strong>de</strong> notre espace<br />
frontalier, nous allons abor<strong>de</strong>r, dans un <strong>de</strong>rnier point, l’impact d’un conflit au sein du<br />
régiment <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>s wallonnes. Il s’agit <strong>de</strong> voir dans quelle mesure l’étu<strong>de</strong> d’un espace<br />
frontalier institutionnel peut nous informer sur <strong>de</strong>s caractéristiques communes à toutes les<br />
sociétés <strong>de</strong> frontière.<br />
3. Conflit interne et crise d’i<strong>de</strong>ntité<br />
En 1777, un conflit secoue le régiment <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>s wallonnes. Il se traduit par un affrontement<br />
violent entre une partie <strong>de</strong>s capitaines et le colonel, et s’achève par le limogeage du colonel,<br />
c’est-à-dire un Grand d’Espagne, titulaire d’un <strong>de</strong>s premiers emplois <strong>de</strong> l’armée. Que <strong>de</strong>s<br />
capitaines obtiennent l’éviction <strong>de</strong> leur colonel constitue un événement exceptionnel dans<br />
l’histoire <strong>de</strong> l’institution militaire. A cette époque, les gar<strong>de</strong>s wallonnes traversent une crise<br />
profon<strong>de</strong>. A l’origine du conflit, se trouve la diversification croissante <strong>de</strong>s trajectoires <strong>de</strong>s<br />
officiers. Alors qu’une partie d’entre eux s’est complètement intégrée dans la société<br />
espagnole, une autre a continué à arriver fraîchement <strong>de</strong>s Pays-Bas. Le conflit <strong>de</strong> 1777 porte<br />
donc sur la définition <strong>de</strong> la communauté. Les disparités <strong>de</strong>viennent trop gran<strong>de</strong>s entre les<br />
officiers. Ni la pratique professionnelle, ni le patronage du colonel, ni les symboles <strong>de</strong> la<br />
nation, ne suffisent plus à faire tenir ensemble le corps.<br />
Cette crise d’i<strong>de</strong>ntité sociale et professionnelle s’exprime à travers un conflit <strong>de</strong> type<br />
institutionnel. Comme dans toute institution, il n’est guère étonnant que les tensions qui<br />
affectent la communauté se règlent par le biais <strong>de</strong>s ressources juridiques offertes par les<br />
institutions. Dans notre cas, la divergence d’intérêt entre les capitaines et le colonel <strong>de</strong>s<br />
régiments est un conflit pratiquement structurel <strong>de</strong>s armées mo<strong>de</strong>rnes. Si l’on s’en tient aux<br />
réformes militaires initiées en France par Louis XIV, elles ont eu pour principal objet <strong>de</strong><br />
réduire l’autorité <strong>de</strong>s colonels sur leurs unités. Celles-ci, généralement levées aux frais du<br />
colonel, et sur base d’un recrutement local dans les fiefs et seigneuries, leur ont été soumises<br />
pratiquement en pleine propriété. Les colonels ont disposés du droit <strong>de</strong> nommer les officiers et<br />
d’avoir la haute main sur toute l’administration économique du régiment 28 . Dès lors, l’esprit<br />
qui domine les réformes <strong>de</strong> l’armée menée sous Louis XIV consiste à développer <strong>de</strong>s contrepouvoirs<br />
au colonel, à l’intérieur et à l’extérieur <strong>de</strong>s régiments. Sans nous attar<strong>de</strong>r, nous<br />
retiendrons simplement qu’un <strong>de</strong>s axes principaux <strong>de</strong>s réformes consiste à faire reposer<br />
28 La politique <strong>de</strong> Richelieu, qui a consisté à contrôler la noblesse en lui distribuant <strong>de</strong>s charges militaires, s’est révélée être<br />
un échec. Les colonels propriétaires se sont occupés très peu <strong>de</strong> leurs unités, la désertion a atteint <strong>de</strong>s niveaux dramatiques,<br />
et, dans les moments les plus tendus, les colonels ont retourné leurs unités contre le pouvoir royal. D. Parrott, Richelieu's<br />
Army: War, Government and Society in France, 1624-1642, Cambridge, 2001.<br />
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