Rafael BenÃtez, Universidad de Valencia - framespa
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statuts personnels et <strong>de</strong>s privilèges juridiques à autant <strong>de</strong> frontières métaphoriques risquerait <strong>de</strong> diluer la problématique<br />
dans une réflexion trop générale sur l’ordre juridique d’Ancien Régime. Dès lors, afin <strong>de</strong> ne pas perdre en chemin la<br />
spécificité <strong>de</strong> notre objet, nous avons choisi <strong>de</strong> dépayser la problématique <strong>de</strong>s sociétés <strong>de</strong> frontière en l’éloignant du limes<br />
politique mais pour l’appliquer à un espace social qui, tout en ayant <strong>de</strong>s caractéristiques propres, comporte une série <strong>de</strong><br />
points communs avec les sociétés frontalières.<br />
Les microsociétés formées par les régiments étrangers sont-elles <strong>de</strong>s sociétés <strong>de</strong> frontière ? A première vue,<br />
l’analogie peut paraître abusive. Elle consiste en effet à comparer une institution avec une communauté territoriale dotée<br />
d’une organisation politique. Néanmoins, la vie institutionnelle <strong>de</strong>s régiments étrangers doit se dérouler en tenant compte,<br />
comme donnée structurelle <strong>de</strong> son organisation, <strong>de</strong> la présence d’une frontière. Celle-ci est double, dans le sens où elle<br />
délimite juridiquement une institution, et culturellement (ou ethniquement) une communauté. L’influence <strong>de</strong> cette double<br />
frontière sur la vie d’une institution militaire va nous occuper au cours <strong>de</strong> ce travail. L’existence <strong>de</strong> cette frontière, avec ses<br />
caractéristiques propres, suffit-elle à justifier une spécificité absolue <strong>de</strong>s régiments étrangers les rendant irréductibles au<br />
reste <strong>de</strong> l’institution militaire, voire aux mécanismes communs à toutes les institutions d’Ancien Régime ? Nous avons<br />
appliqué la proposition méthodologique <strong>de</strong> ce colloque en nous penchant sur les conflits intérieurs à l’institution pour tâcher<br />
<strong>de</strong> voir dans quelles mesures ils révèlent d’une part les spécificités du terrain, et <strong>de</strong> l’autre ses modalités communes avec le<br />
reste <strong>de</strong> la société d’Ancien Régime.<br />
Dans un premier point, nous allons nous pencher sur les enjeux historiographiques liés à notre terrain qui justifient<br />
l’emploi <strong>de</strong> nouvelles métho<strong>de</strong>s pour l’extraire <strong>de</strong> l’enclave historiographique dans laquelle il a été confiné. Ensuite, nous<br />
détaillerons, à partir <strong>de</strong> l’observation <strong>de</strong> plusieurs cas, les traits généraux qui caractérisent la frontière juridique et ethnique<br />
<strong>de</strong>s régiments étrangers. Enfin, en trois étapes, nous traiterons le cas précis <strong>de</strong>s unités flaman<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la gar<strong>de</strong> royale <strong>de</strong>s<br />
Bourbons d’Espagne, en les replaçant dans leur contexte politique et institutionnel.<br />
1. Les communautés étrangères : une histoire à part ?<br />
D’un point <strong>de</strong> vue historiographique, les sociétés <strong>de</strong> frontières et l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s communautés étrangères ont plusieurs<br />
points communs. Depuis quelques années, un peu partout fleurissent <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s consacrées à <strong>de</strong>s communautés étrangères<br />
plus ou moins importantes qui ont fait souche dans les différentes monarchies en Occi<strong>de</strong>nt et ailleurs. Effet <strong>de</strong> la construction<br />
européenne ou réaction saine face aux historiographies nationales qui ont eu tendance à nier la composition multinationale<br />
<strong>de</strong>s sociétés d’Ancien Régime, le fait est qu’aujourd’hui ce courant a conquis ses lettres <strong>de</strong> noblesse et s’est installée <strong>de</strong><br />
façon durable dans le paysage historiographique. Programmes <strong>de</strong> recherche internationaux, colloques 618 , gui<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />
recherche 618 lui ont conféré une légitimité institutionnelle qui ne semble plus pouvoir être ébranlée.<br />
Si le mouvement a connu un regain d’activité <strong>de</strong>puis une quinzaine d’années, il s’inscrit dans une tradition<br />
historiographique qui remonte aux années 1960 et aux grands travaux d’histoire sociale quantitative 618 . C’est à la<br />
sociométrie et à la démographie historique que l’on doit d’avoir érigé l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s communautés étrangères en spécialité 618 .<br />
Comme elles l’ont fait pour les métiers et les corporations urbaines, elles se sont attachées à construire <strong>de</strong>s catégories<br />
sociales autonomes <strong>de</strong> l’analyse historique, indépendantes <strong>de</strong> l’expérience <strong>de</strong>s acteurs. En même temps qu’elle organise la<br />
stratification sociale par groupes socioprofessionnels, la démographie historique a procédé par repérage patronymique pour<br />
organiser le tissu urbain selon une classification « nationale », l’objectif premier étant le dénombrement <strong>de</strong>s populations<br />
allochtones. Depuis lors, la pertinence <strong>de</strong>s catégories ainsi constituées n’a souffert pratiquement aucune critique <strong>de</strong> la part<br />
<strong>de</strong>s historiens du social qui les ont étudiées en tant que telles sans s’interroger sur leur bien-fondé 618 .<br />
Les préoccupations démographiques ont quelque peu diminué dans les travaux récents 618 . De plus en plus, les<br />
étu<strong>de</strong>s se sont détournées d’une quantification globale <strong>de</strong>s populations pour s’intéresser à l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s communautés en tant<br />
que telles (marchands, militaires, artisans, etc.) 618 . Dans une large mesure, l’intérêt renouvelé <strong>de</strong>s historiens d’Ancien<br />
Régime pour les relations entre le centre et la périphérie, l’attention accrue portée aux élites locales, et la tendance générale<br />
à la réduction du terrain d’analyse, ont constitué un contexte favorable à la recru<strong>de</strong>scence <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s sur les communautés<br />
étrangères. Néanmoins, jusqu’à présent, ces <strong>de</strong>rnières n’ont pas pleinement connecté avec le vaste mouvement <strong>de</strong> retour au<br />
local qui les a profondément renouvelées. En effet, l’intérêt pour les communautés locales s’est inscrit, dès l’origine, dans<br />
une réflexion sur le fonctionnement politique <strong>de</strong>s sociétés d’Ancien Régime. Le niveau local n’a retenu l’intérêt <strong>de</strong>s historiens<br />
que comme un <strong>de</strong>s éléments d’un ensemble politique qui s’articule autour <strong>de</strong>s relations entre le micro et le macro 618 . En<br />
revanche, l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s communautés étrangères s’est généralement confinée dans l’insularité. Leur caractère « étranger »,<br />
jugé irréductible, et la difficulté à les inscrire dans un questionnement sur le fonctionnement du pouvoir dans l’Ancien<br />
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