Rafael BenÃtez, Universidad de Valencia - framespa
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A cette bi partition du mon<strong>de</strong> indien répond la séparation interne au mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Espagnols, qui<br />
connaît ses dépravés et «mauvais chrétiens », au premier chef <strong>de</strong>squels se trouvent les<br />
renégats, chrétiens espagnols ayant choisi <strong>de</strong> vivre parmi les Indiens, et au sujet <strong>de</strong>squels le<br />
vocabulaire décline le champ sémantique <strong>de</strong> l’abjection et <strong>de</strong> la chute. Après eux, et la cible<br />
principale <strong>de</strong> ses diatribes, les « plumarios » et autres agents <strong>de</strong> la monarchie administrative,<br />
coupables par leur corruption et leurs mœurs dissolues 12 <strong>de</strong> la fossilisation du conflit armé au<br />
Chili. Face à cette image <strong>de</strong> la déchéance se dressent <strong>de</strong>s héros, les soldats vertueux,<br />
catholiques et virils auxquels doivent revenir les charges, les bénéfices et les honneurs.<br />
Que la frontière comme espace d’affrontement soit un lieu d’échanges plus que <strong>de</strong><br />
démarcation radicale est une cause entendue <strong>de</strong>puis l’œuvre d’Alonso <strong>de</strong> Ercilla un siècle plus<br />
tôt, qui scrute l’ennemi et y reconnaît toute une série <strong>de</strong> valeurs morales partagées. Comme<br />
Ercilla avant lui, Pineda se sert <strong>de</strong> son expérience <strong>de</strong> captivité pour mettre en scène son<br />
analyse …sur sa propre société. Car contrairement a ce que l’on a longtemps cru, l’objet <strong>de</strong><br />
Pineda est bien plus le mon<strong>de</strong> espagnol que le mon<strong>de</strong> indien. Ce détour <strong>de</strong> l’autre côté du<br />
miroir n’est qu’une tactique – un peu comme <strong>de</strong>s Lettres persanes avant la lettre et à l’envers<br />
– pour mieux pourfendre les tares <strong>de</strong> sa propre société, <strong>de</strong> son propre mon<strong>de</strong>.<br />
« Mon<strong>de</strong> » car les problèmes qu’il pose sont ceux touchant l’ensemble <strong>de</strong> la monarchie :<br />
comment se faire entendre d’un monarque lointain ? Comment s’assurer que le pouvoir<br />
politique n’a pas été accaparé au bénéfice <strong>de</strong> ceux qui sont censées l’administrer ?<br />
Pineda se livre ainsi à une critique acerbe <strong>de</strong> la vénalité <strong>de</strong>s charges municipales notamment,<br />
qui ajoutée aux pratiques traditionnelles <strong>de</strong> cooptation, confisquent le pouvoir local au profit<br />
<strong>de</strong>s élites territoriales et marchan<strong>de</strong>s – tout comme en Castille. Si, <strong>de</strong> surcroît, les frau<strong>de</strong>s dans<br />
l’adjudication <strong>de</strong>s contrats pour l’entretien <strong>de</strong>s armées (le situado) empêchent<br />
l’enrichissement <strong>de</strong>s producteurs locaux (dont Pineda lui-même), et ce au profit <strong>de</strong>s<br />
liméniens, il ne reste que les bénéfices octroyés par le monarque aux militaires méritants pour<br />
pouvoir s’élever (« medrar ») : si ces récompenses dépen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’accès au monarque ou au<br />
vice-roi, le lien avec le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s militaires comme Pineda est rompu excluant <strong>de</strong> ce fait le<br />
service militaire au monarque comme levier social. Dans les marches <strong>de</strong> l’empire comme au<br />
cœur <strong>de</strong> la Castille les problèmes <strong>de</strong> gouvernance s’expriment quasiment dans les mêmes<br />
termes.<br />
Comme solution à tous ces problèmes, Francisco <strong>de</strong> Pineda pose une série <strong>de</strong> valeurs – vécues<br />
comme un « retour » à <strong>de</strong>s valeurs qui ont été perverties à travers le temps – solution qui<br />
conjugue les valeurs traditionnelles <strong>de</strong> noblesse et vertu dans un cadre imposant <strong>de</strong> nouvelles<br />
formes d’inscription i<strong>de</strong>ntitaire et d’appartenance. Les Nobles, guerriers, « Espagnols » et<br />
catholiques, tous adjectifs qui se veulent redondants sous sa plume, doivent être le modèle <strong>de</strong>s<br />
autres Espagnols et les formateurs religieux <strong>de</strong>s Indiens qui doivent leur être confiés <strong>de</strong><br />
manière perpétuelle. C’est à ces hommes qu’il incombe d’être la cheville privilégiée du<br />
rapport avec le pouvoir du monarque. Leur patrie est conçue dans cette organisation comme le<br />
lieu où ils sont en droit d’attendre <strong>de</strong>s récompenses pour leurs mérites et services. Vision très<br />
traditionnelle <strong>de</strong>s In<strong>de</strong>s comme un ensemble <strong>de</strong> royaumes <strong>de</strong> plus dans le concert <strong>de</strong>s<br />
royaumes dépendant du roi catholique, mais qui a effectué un passage fondamental qui ne doit<br />
pas passer inaperçu : en déterritorialisant la notion d’Espagnol – du natural <strong>de</strong> los reinos <strong>de</strong><br />
España on passe à l’Espagnol - et en lui adjoignant le nécessaire adjectif « catholique », la<br />
vision <strong>de</strong> Pineda, témoin d’un processus global que l’on ne saurait limiter à cet exemple, et au<br />
domaine colonial, pose les bases d’une appartenance hispanique profondément ancrée que les<br />
hommes du XIXe siècle hispanique ont le plus grand mal à conjuguer avec les notions<br />
mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> citoyenneté et <strong>de</strong> nation.<br />
12 Pineda va jusqu’à utiliser tous les arguments <strong>de</strong>s « anti-créoles » , Juan Lopez <strong>de</strong> Velasco, Juan <strong>de</strong> la Puente, pour<br />
démontrer le caractère délétère <strong>de</strong> la société issue <strong>de</strong> la conquête espagnole.<br />
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