Rafael BenÃtez, Universidad de Valencia - framespa
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vénitien, même si chaque contado maintenait une relative autonomie, liée aux traditions<br />
propres <strong>de</strong> chaque territoire, et déterminée en partie par le <strong>de</strong>gré d’autorité revendiqué par les<br />
noblesses locales. La Terre ferme était un ensemble disparate, incluant d’une part les gran<strong>de</strong>s<br />
villes jadis indépendantes telles que Padoue, Vicence, Vérone, Brescia et Bergame 149 ; d’autre<br />
part, <strong>de</strong> vastes zones rurales dominées par <strong>de</strong>s seigneurs féodaux, comme par exemple le<br />
Frioul ou le Veronese ; enfin, <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> villages et <strong>de</strong> petites villes rurales, éparpillés sur<br />
l’ensemble du territoire, et qui conservaient <strong>de</strong>s privilèges ou <strong>de</strong>s statuts communaux. On le<br />
voit donc, peu d’unité ou <strong>de</strong> cohérence dans ce territoire, qui <strong>de</strong>vint pourtant la Terra ferma, le<br />
contado <strong>de</strong> Venise.<br />
Le Stato di Terra ferma nouvellement constitué représentait également un moyen <strong>de</strong> mettre à<br />
distance, et donc <strong>de</strong> renforcer la frontière vénitienne. La conquête <strong>de</strong> la Terre ferme eut lieu<br />
quelques années après la guerre <strong>de</strong> Chioggia et la tragédie qu’avait représenté pour Venise<br />
l’attaque génoise <strong>de</strong> la lagune. L’événement avait-il agi comme un révélateur <strong>de</strong> la fragilité<br />
<strong>de</strong>s défenses vénitiennes ? Nous pourrions en faire l’hypothèse, et considérer dès lors la<br />
conquête <strong>de</strong> la Terre ferme comme une tentative d’éloignement <strong>de</strong> la frontière du voisinage<br />
direct <strong>de</strong> la capitale.<br />
Au début du XVI e siècle, la frontière vénitienne était donc triple : la lagune, la Terre ferme,<br />
puis la frontière proprement dite, le limes, la ligne <strong>de</strong> séparation entre les territoires sous<br />
domination vénitienne et les autres États italiens. En ce sens, le Stato da terra pourrait lui<br />
aussi être perçu comme une vaste société <strong>de</strong> frontière. Qu’en conclure pour l’espace qui nous<br />
intéresse directement, Venise ? Sans doute pourrait-on dire que la ville elle-même n’était pas<br />
à proprement parler une société <strong>de</strong> frontière, mais bien un espace retranché <strong>de</strong>rrière plusieurs<br />
frontières protectrices, qui s’étaient élargies et éloignées avec les siècles et qui faisaient <strong>de</strong> la<br />
Sérénissime un espace toujours mieux défendu contre d’éventuelles menaces extérieures.<br />
Avec la ligue <strong>de</strong> Cambrai, et la guerre qui s’en suivit, la brusque incursion <strong>de</strong>s troupes<br />
ennemies en Terre ferme eut <strong>de</strong>s conséquences majeures sur les caractéristiques <strong>de</strong> la frontière<br />
vénitienne.<br />
La ligue <strong>de</strong> Cambrai : le rapprochement <strong>de</strong> frontière<br />
La guerre <strong>de</strong> la ligue <strong>de</strong> Cambrai constitue, dans l’histoire millénaire <strong>de</strong> la République <strong>de</strong><br />
Venise, un moment <strong>de</strong> rupture d’un grand intérêt du point <strong>de</strong> vue historique. Le système <strong>de</strong><br />
frontières multiples que nous venons <strong>de</strong> décrire ne suffit plus et la lagune se retrouva menacée<br />
par <strong>de</strong>s troupes étrangères.<br />
Un lent processus aboutit à la constitution <strong>de</strong> la ligue, signée le 10 décembre 1508, entre le roi<br />
<strong>de</strong> France, l’empereur, le roi d’Aragon, et les ducs <strong>de</strong> Ferrare, Mantoue et Urbino 150 .<br />
L’alliance, initialement <strong>de</strong>stinée à contrer les Ottomans, se transforma rapi<strong>de</strong>ment en une<br />
vaste coalition contre Venise, rejointe par le pape Jules II au début <strong>de</strong> l’année 1509. La guerre<br />
ne vit un terme qu’en 1516, grâce au concordat <strong>de</strong> Bologne. Ces huit années <strong>de</strong> conflit virent<br />
l’alternance <strong>de</strong> phases plus favorables aux troupes vénitiennes, <strong>de</strong> moments critiques et <strong>de</strong><br />
défaites retentissantes, durant lesquels les villes <strong>de</strong> Vénétie et <strong>de</strong> Lombardie furent disputées<br />
par les <strong>de</strong>ux camps ennemis.<br />
Le 14 mai 1509, les coalisés <strong>de</strong> la ligue l’emportèrent contre l’armée mercenaire <strong>de</strong> Venise à<br />
Agna<strong>de</strong>llo, à quelques kilomètres <strong>de</strong> Bergame. Les jours suivants, toute la Terre ferme<br />
vénitienne fut perdue. De nombreuses villes sous domination vénitienne se rebellèrent contre<br />
149 E. Muir, « Was There Republicanism in the Renaissance Republics ? Venice after Agna<strong>de</strong>llo », Venice Reconsi<strong>de</strong>red. The<br />
History and Civilization of an Italian City-State, 1297-1797, J. Martin, D. Romano (éds.), Baltimore, 2000, p. 137-167.<br />
150 F. Gilbert, « Venice in the Crisis of the League of Cambrai », Renaissance Venice, J. R. Hale (éd.), Londres, 1973, p. 274-<br />
292 ; M. E. Mallett, « Venezia e la politica italiana 1454-1530 », Storia di Venezia. Dalle origini alla caduta <strong>de</strong>lla<br />
Serenissima, Tome IV, Il Rinascimento. Politica e cultura, A. Tenenti, U. Tucci (éds.), Rome, 1996, p. 245-310 ; E. Muir,<br />
« Was There Republicanism… », art. cité. Voir également G. dalla Santa, La lega di Cambrai e gli avvenimenti <strong>de</strong>ll’anno<br />
1509 <strong>de</strong>scritti da un mercante veneziano contemporaneo, Venise, 1903.<br />
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