05.06.2015 Views

Rafael Benítez, Universidad de Valencia - framespa

Rafael Benítez, Universidad de Valencia - framespa

Rafael Benítez, Universidad de Valencia - framespa

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Régime, les a généralement tenu à l’écart <strong>de</strong> l’histoire politique. Inspirées à <strong>de</strong>s <strong>de</strong>grés divers par l’anthropologie<br />

historique, ces étu<strong>de</strong>s se sont intéressées en priorité aux mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> vies, aux rituels d’intégration, aux solidarités internes, aux<br />

formes <strong>de</strong> dévotion 618 . Autrement dit, ces travaux ont insisté davantage sur la continuité <strong>de</strong>s caractères du groupe immigré en<br />

consacrant toute leur attention aux manifestations <strong>de</strong> l’unité du collectif 618 . Cette approche a également contribué à<br />

l’essentialisation <strong>de</strong>s communautés en les considérant comme <strong>de</strong>s acteurs collectifs irréductibles à la société dans laquelle ils<br />

sont ancrés. En d’autres termes, autant la démographie que l’anthropologie ont, en érigeant les communautés étrangères en<br />

objet historique à part entière, contribué à les isoler <strong>de</strong> leur contexte et, par conséquent, à en diminuer la compréhension. De<br />

manière plus fondamentale peut-être, elles ont évacué les questions politiques et juridiques liés à l’existence <strong>de</strong> ces<br />

communautés, sans chercher, à partir <strong>de</strong> ces cas particuliers, à tenter une compréhension générale <strong>de</strong>s sociétés d’Ancien<br />

Régime 618 .<br />

L’enjeu qui sous-tend ce travail est <strong>de</strong> pouvoir expliquer le fonctionnement <strong>de</strong>s régiments étrangers avec le même<br />

matériau que le reste <strong>de</strong>s institutions d’Ancien Régime. La différence ethnique, exacerbée dans la plupart <strong>de</strong>s travaux, a<br />

rendu ce projet impossible. Toutefois, pour pouvoir ramener la question ethnique à <strong>de</strong> justes proportions, il convient d’en<br />

formuler une critique raisonnée.<br />

2. Frontière juridique, frontière ethnique<br />

Dans la plupart <strong>de</strong>s monarchies d’Ancien Régime, il existe <strong>de</strong>s corps militaires constitués d’individus non<br />

régnicoles 618 . L’absence théorique <strong>de</strong> liens horizontaux avec le royaume en fait <strong>de</strong>s auxiliaires précieux pour le pouvoir<br />

royal qui les dotent <strong>de</strong> nombreux privilèges et les fait généralement servir dans la proximité immédiate du souverain. D’un<br />

point <strong>de</strong> vue juridique, le service étranger – c’est ainsi qu’il est convenu <strong>de</strong> l’appeler – n’est pas fondamentalement différent<br />

du service <strong>de</strong>s sujets. Il ne fait qu’exacerber <strong>de</strong>s caractéristiques qui sont communes à toute l’institution militaire.<br />

Dès les premiers embryons <strong>de</strong>s armées royales, au Moyen Age, il a s’agit pour le pouvoir monarchique <strong>de</strong><br />

contrôler ses propres forces en se détachant <strong>de</strong>s vicissitu<strong>de</strong>s saisonnières du service d’ost. Les ban<strong>de</strong>s d’ordonnance, noms<br />

portés par les premières armées royales en France, soulignent à quel point la législation royale a joué un rôle fondamental<br />

dans la naissance <strong>de</strong>s armées d’Etat. C’est en dotant les unités <strong>de</strong> statuts et <strong>de</strong> privilèges spécifiques, puis progressivement<br />

en les dotant d’une juridiction propre, que le pouvoir monarchique est parvenu à détacher (socialement, juridiquement et<br />

géographiquement) <strong>de</strong>s individus <strong>de</strong> leurs communautés pour les intégrer dans ce qui <strong>de</strong>viendra le métier <strong>de</strong>s armes. Le<br />

statut juridique est également ce qui permet au mieux <strong>de</strong> garantir l’étanchéité <strong>de</strong> l’armée à l’égard <strong>de</strong> la société. La<br />

proximité entre les civils et les militaires est telle que le pouvoir royal a dû ériger <strong>de</strong>s frontières entre eux, juridique d’une<br />

part, mais également symbolique (uniforme), et physique (caserne) 618 . Ces mesures reposent sur une conception politique du<br />

service du roi qui considère que la dépendance verticale, à l’exclusion <strong>de</strong> tous liens horizontaux, garantit une meilleure<br />

efficacité du personnel 618 .<br />

Le service étranger s’inscrit dans la même logique. Le statut juridique, précisé dans les capitulations signées au<br />

moment <strong>de</strong> la levée du régiment, doit permettre au recruteur <strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s volontaires puis <strong>de</strong> générer un flux migratoire<br />

tendu <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s communautés situées hors <strong>de</strong> la souveraineté du roi. Néanmoins, par rapport au service <strong>de</strong>s sujets, les<br />

privilèges accordés aux militaires non régnicoles insistent généralement sur le maintien d’une série <strong>de</strong> caractères liés au lieu<br />

d’origine (langue maternelle, emblèmes <strong>de</strong>s communautés d’origine, vêtements traditionnels, armes spécifiques, etc.). Fruit<br />

d’une négociation, ce statut juridique permet d’une part aux commandants recruteurs <strong>de</strong> garantir une filière professionnelle<br />

réservée sur laquelle ils ont le contrôle et qui leur permet <strong>de</strong> renforcer leur position sociale dans leurs communautés<br />

d’origine. D’autre part, ce statut permet au pouvoir royal <strong>de</strong> pousser à son terme la logique <strong>de</strong> différenciation entre l’armée<br />

et la société. Les monarchies se sont toujours efforcées <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s soldats <strong>de</strong>s étrangers sociaux. En exacerbant les<br />

caractéristiques ethniques <strong>de</strong>s unités non régnicoles, elles dressent une frontière qui se veut totalement hermétique. Dans<br />

certains cas, cet agencement socio juridique contribue à la construction <strong>de</strong> représentations sociales qui postulent un lien<br />

nécessaire entre l’origine <strong>de</strong> certains individus et le métier <strong>de</strong>s armes. Ainsi, en France, sous Louis XV, il est communément<br />

admis que les Hongrois ont <strong>de</strong>s qualités spécifiques qui les prédisposent à servir dans la cavalerie légère. L’ethnicisation <strong>de</strong>s<br />

régiments <strong>de</strong> hussards dans l’imaginaire collectif est donc le fruit d’une politique active du pouvoir royal 618 .<br />

La formation <strong>de</strong> régiments étrangers suppose la création d’un espace socioprofessionnel ex nihilo résultant d’un<br />

accord passé entre le pouvoir royal et <strong>de</strong>s élites extérieures au royaume. L’action législative du roi invente un espace<br />

frontalier au cœur <strong>de</strong> l’Etat. D’un point <strong>de</strong> vue juridique, les privilèges <strong>de</strong> nations ne se distinguent en rien <strong>de</strong>s autres formes<br />

<strong>de</strong> statuts attachés aux corps et aux communautés. Ils ont simplement la particularité <strong>de</strong> stigmatiser <strong>de</strong>s traits culturels à <strong>de</strong>s<br />

175

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!