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Rafael Benítez, Universidad de Valencia - framespa

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La communauté vénitienne dans son ensemble souffrait <strong>de</strong> la guerre et <strong>de</strong>s conséquences<br />

pratiques et symboliques <strong>de</strong> la conquête <strong>de</strong> la Terre ferme par les troupes ennemies. Les<br />

phénomènes sociaux que nous observons durant la guerre <strong>de</strong> la ligue <strong>de</strong> Cambrai semblent<br />

relever d’une forme <strong>de</strong> gestion collective <strong>de</strong>s conflits et tensions intérieurs. On assista ainsi à<br />

la diffusion d’un sentiment collectif <strong>de</strong> culpabilité lié, au moins dans les discours officiels, à<br />

la dépravation morale <strong>de</strong>s Vénitiens. Il s’agissait d’une accusation collective <strong>de</strong>s mœurs<br />

dissolues <strong>de</strong>s habitants <strong>de</strong> la lagune considérés dans leur ensemble. De nombreuses<br />

processions furent organisées durant la guerre, avec la volonté affichée d’expier <strong>de</strong> façon<br />

collective les péchés et les vices <strong>de</strong>s Vénitiens. Le peintre Vittore Carpaccio a été l’un <strong>de</strong>s<br />

témoins précieux <strong>de</strong> ces événements 196 .<br />

Face aux défaites successives et à l’urgence <strong>de</strong> la situation, les Vénitiens invoquèrent la<br />

possibilité d’une punition divine. De nombreux phénomènes naturelles – comètes,<br />

tremblements <strong>de</strong> terre, tempête, etc. – furent interprétés comme autant <strong>de</strong> manifestations <strong>de</strong> la<br />

colère <strong>de</strong> Dieu, auxquelles il fallait répondre par <strong>de</strong>s signes <strong>de</strong> soumission, afin d’obtenir sa<br />

clémence. Les processions se multiplièrent et même si les phénomènes collectifs <strong>de</strong> ce genre<br />

étaient déjà fréquents à l’époque médiévale à Venise comme dans les autres villes italiennes,<br />

c’est la mise en discours d’une faute collective qui est ici intéressante. Celle-ci n’était pas la<br />

même selon les sources. Le chroniqueur G. Priuli insistait sur le vice et les péchés d’ordre<br />

moral, sodomie et pratiques sexuelles illicites, alors que M. Sanudo semblait davantage<br />

préoccupé par les erreurs politiques <strong>de</strong> ses pairs : corruption, vénalité et conscience politique<br />

limitée.<br />

De nombreux procès et rituels <strong>de</strong> punition ou d’exécution furent organisés. Certains patriciens<br />

appauvris focalisèrent l’attention car ils furent, accusés <strong>de</strong> s’être rendus coupables <strong>de</strong> vols ou<br />

d’autres crimes encore et condamnés sur la place publique. Les exécutions sur la piazzetta,<br />

<strong>de</strong>vant le Palais <strong>de</strong>s doges, rassemblaient alors la population <strong>de</strong> la ville venue assister à la<br />

punition <strong>de</strong> ces patriciens personnifiant une déca<strong>de</strong>nce morale à expier collectivement.<br />

Le lien social<br />

L’expression et la manifestation <strong>de</strong> ces tensions permettent d’apporter quelques éléments <strong>de</strong><br />

conclusion sur la fonction occupée par les conflits dans la définition du lien social. Venise se<br />

révèle un excellent cas d’étu<strong>de</strong> en raison <strong>de</strong> l’exceptionnelle cohésion sociale dont la ville<br />

avait toujours joui à l’époque médiévale, et encore au XVI e siècle. Il s’agit <strong>de</strong> l’un <strong>de</strong>s thèmes<br />

au cœur <strong>de</strong> l’historiographie <strong>de</strong> Venise, même si les historiens font en réalité rarement usage<br />

du concept même <strong>de</strong> « lien social ». La terminologie, en effet, n’est généralement pas utilisée<br />

par les historiens italiens, qui la considère plutôt galvaudée et ancienne, et relativement peu<br />

employée par les historiens américains et anglais.<br />

Néanmoins, si l’on considère le concept dans sa définition large, force est <strong>de</strong> constater que le<br />

lien social – considéré comme l’ensemble <strong>de</strong>s processus sociaux permettant aux membres<br />

d’une même société <strong>de</strong> vivre ensemble et <strong>de</strong> cohabiter – fon<strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la société vénitienne<br />

du Moyen Âge à l’époque mo<strong>de</strong>rne. L’histoire <strong>de</strong> Venise a été traversée par <strong>de</strong>s va et vient<br />

entre mythe, anti-mythe et contre-mythe 197 . Pourtant, malgré les tentatives <strong>de</strong> nombreux<br />

historiens, nul n’est réellement parvenu à déconstruire le mythe <strong>de</strong> la stabilité et <strong>de</strong> la<br />

cohésion sociale vénitiennes, ni à expliquer la solidité <strong>de</strong> ce lien. Venise était, à la fin du<br />

Moyen Âge, l’une <strong>de</strong>s plus gran<strong>de</strong>s villes d’Occi<strong>de</strong>nt, entre 120 000 et 150 000 habitants. Elle<br />

n’en était pas moins la capitale <strong>de</strong> l’un <strong>de</strong>s États les plus stables et puissants d’Italie du nord.<br />

Certains conflits politiques retentissants avaient émaillé l’histoire <strong>de</strong> la ville, en particulier au<br />

196 P. Fortini Brown, Venetian Narrative Painting in the Age of Carpaccio, New Haven and London, 1988. Voir aussi E.<br />

Muir, Civic Ritual in Renaissance Venice, Princeton, 1981.<br />

197 J. S. Grubb, « When Myths Lose Power : Four Deca<strong>de</strong>s of Venetian Historiography », The Journal of Mo<strong>de</strong>rn History,<br />

LVIII, n°1, 1986, p. 43-94<br />

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