Rafael BenÃtez, Universidad de Valencia - framespa
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menaces véritables dataient <strong>de</strong> la fin du XIV e siècle, et furent du fait <strong>de</strong>s Génois qui, lors <strong>de</strong> la<br />
guerre <strong>de</strong> Chioggia en 1378-1381, parvinrent à atteindre le sud <strong>de</strong> la lagune. L’événement<br />
resta pour longtemps dans les mémoires, et incarna le parangon <strong>de</strong>s dangers potentiels que<br />
<strong>de</strong>vait redouter Venise. En octobre 1513, au moment <strong>de</strong> la guerre <strong>de</strong> la ligue <strong>de</strong> Cambrai,<br />
quand la lagune fut à nouveau menacée, le chroniqueur Marino Sanudo compara la situation à<br />
celle <strong>de</strong> 1382, lorsque les « Hongrois [alliés <strong>de</strong>s Génois] incendièrent la ville <strong>de</strong> Mestre », la<br />
cité <strong>de</strong> Terre ferme la plus proche <strong>de</strong> Venise 148 .<br />
Les caractéristiques <strong>de</strong> la lagune font <strong>de</strong> la frontière vénitienne un espace difficile à définir.<br />
Comme souvent à l’époque médiévale, cette frontière n’était pas incarnée par une ligne, mais<br />
par un espace vaste, une région à part entière. Les îles <strong>de</strong> la lagune, telles Murano, Torcello,<br />
Burano, faisaient <strong>de</strong> la lagune un espace habité, et non pas seulement un vaste no man’s land.<br />
Sans doute, d’ailleurs, les petites communautés lagunaires s’étant installées sur ces îles<br />
pourraient-elles être considérées comme <strong>de</strong> véritables sociétés <strong>de</strong> frontière et mériteraient<br />
d’être étudiées en ces termes. Une autre spécificité <strong>de</strong> la lagune, bien entendu, est qu’elle<br />
constituait une frontière liqui<strong>de</strong>, donc considérée comme plus sûre, voire inviolable. Ainsi,<br />
l’image d’une ville sans murailles, ni portes – fait exceptionnel pour une ville médiévale –<br />
était constamment utilisée dans les textes <strong>de</strong> l’époque et chaque nouvelle génération <strong>de</strong><br />
chroniqueur reprenait à son gré la métaphore d’une muraille liqui<strong>de</strong>.<br />
La lagune n’était pas pour autant une simple « frontière naturelle », et la typicité<br />
géographique <strong>de</strong> l’espace ne suffisait pas à en expliquer l’importance. Comme tout autre<br />
frontière, elle était aussi, et avant tout, un construit historique. Infranchissable pour qui aurait<br />
voulu attaquer la ville, s’attaquer à sa virginité, combien était-elle perméable aux incessants<br />
trafics entre Venise et Mestre, aux traversées continues <strong>de</strong>s barques et chalands, transportant<br />
les marchandises essentielles à la survie <strong>de</strong> la cité.<br />
En outre, si les eaux saumâtres isolaient la ville aussi bien <strong>de</strong> la Terre ferme que <strong>de</strong> la mer<br />
Adriatique, il serait réducteur <strong>de</strong> voir en Venise une simple île. Certes, certaines <strong>de</strong> ses<br />
caractéristiques géographiques en faisaient un espace insulaire. Mais la ville était aussi et<br />
avant tout la capitale d’un État. Le Stato da mar avait été progressivement constitué à la suite<br />
<strong>de</strong> la Quatrième Croisa<strong>de</strong> en 1204 : les colonies vénitiennes en mer Egée étaient autant <strong>de</strong><br />
territoires qui formaient un Empire ou un État. De ce fait, c’est sans doute davantage au<br />
modèle <strong>de</strong> la cité-État qu’à celui <strong>de</strong> l’île proprement dite que Venise peut être rapprochée et<br />
c’est en ces termes que sa frontière doit être considérée.<br />
Par ailleurs, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la lagune, un autre espace s’était progressivement constitué, et Venise<br />
était, à l’image <strong>de</strong>s autres cités-États italiennes <strong>de</strong> la fin du Moyen Âge, protégée par un<br />
système <strong>de</strong> frontière double, relativement caractéristique, constituée <strong>de</strong> lignes successives :<br />
celle qui entourait la ville-capitale d’abord, murailles médiévales dans le cas <strong>de</strong> Florence par<br />
exemple, eaux <strong>de</strong> la lagune dans celui <strong>de</strong> Venise ; puis la frontière du contado dans le cas <strong>de</strong>s<br />
cités toscanes ou lombar<strong>de</strong>s, Terra ferma dans le cas vénitien.<br />
A Venise, la nature <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>uxième frontière était étroitement liée à la genèse même du<br />
Stato da terra, c’est-à-dire ce territoire <strong>de</strong> Terre ferme. Jusqu’à la fin du XIV e siècle, Venise<br />
était avant tout la capitale d’un empire maritime, nous l’avons dit. A partir <strong>de</strong>s années 1380,<br />
avec la conquête <strong>de</strong> Trévise, puis celle <strong>de</strong>s villes <strong>de</strong> Padoue, Vicence et Vérone entre 1404 et<br />
1406, Venise <strong>de</strong>vint la capitale d’un vaste État dans la péninsule italienne elle-même. Ce large<br />
espace lui garantit une protection renforcée contre <strong>de</strong>s ennemis potentiels venus <strong>de</strong> l’extérieur.<br />
Il constituait une secon<strong>de</strong> frontière, similaire aux contadi entourant les autres États italiens,<br />
incarnée en une vaste zone tampon entre l’espace originel <strong>de</strong> Venise, la lagune, et le mon<strong>de</strong><br />
extérieur. Les territoires <strong>de</strong> Padoue, Trévise, Vérone ou Brescia <strong>de</strong>vinrent alors part <strong>de</strong> l’État<br />
148 M. Sanudo, I Diarii, 58 volumes, R. Fulin, F. Stefani, N. Barozzi, G. Berchet, M. Allegri (éds.), Venise, 1879-1903 ; 2 e<br />
édition, Bologne, 1989, vol. 17, col. 116-117, 2 octobre 1513, « Noti. Come per le croniche nostre si ha, che Mestre dil 1382<br />
fo brusà una altra volta per Hongari, e poi fo refata per la Signoria nostra: ora è brusata, come ho scripto. »<br />
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