Le saumon de l'Atlantique dans l'histoire de l'Amérique du Nord

CHAPITRE
VIll
Dérision
et destruction ----- 71i
1815-1845
Une destinée évidente
Pendant les 35 années après la guerre de 1812,
l'évolution sociale et économique de l'Est de l'Amérique
du Nord sera fulgurante. De 1815 à 1845, près de
8 millions d'Européens émigrent sur la côte est de
l'Atlantique,' une marée humaine qui a des effets immédiats
et profonds sur ce qui reste des ressources naturelles
originales des colonies. On assiste entre autres
à une ruée vers l'exploitation des pêches à l'intérieur
des terres, sur la côte et en haute mer, ce qui accélère
le déclin de stocks de poissons anadromes. Les nouveaux
arrivés commencent également à repousser les
frontières des régions sauvages à coups de haches et de
charrues pour faire place à la colonisation et à l'agriculture
et, dès le milieu des années 1800, de vastes
territoires de l'Est de l'Amérique présentait un nouveau
visage. La forêt indigène interrompue qui autrefois
occupait les terres « comme le gazon d'une pelouse » est
maintenant chose du passé; on prétend que les trois
quarts des terres de la Nouvelle-Angleterre sont cultivées
dès le milieu du siècle. En Amérique du Nord
britannique, le développement est moins spectaculaire,
mais des milliers et des milliers d'acres de terrain en
bordure des cours d'eau sont déboisés ou brûlés pour
faire place à la culture ou au bétail. De plus, les terres
boisées sauvages qui restent en sont plus laissées intactes,
car le début du siècle marque également l'avènement
de l'ère de l'exploitation forestière qui dénude de
nombreuses vallées fluviales avant 1850.
Toutes ces intrusions progressives de l'homme ont
un effet dévastateur sur les ressources en saumon. Le
déboisement des terres pour l'agriculture entraîne la
destruction de l'environnement naturel des espèces, car
il provoque des fluctuations plus grandes et plus fréquentes
des niveaux d'eau et tarit les affluents pendant
les mois d'été. Le déboisement total des terres pro-
vogue également l'érosion du sol, l'envasement, des
modifications hydrochimiques et l'élévation des températures
du sol et de l'eau. De nombreux rapports de
cette période décrivant les possibilités agricoles dans les
États et les colonies situés plus au nord laissent même
entendre qu'une modération générale du climat pourrait
se produire à mesure que de vastes régions sont déboisées
et cultivées.' Le déboisement diminue également
le couvert forestier au-dessus des cours d'eau qui,
en disparaissant, en modifie la productivité. Inutile de
dire que le milieu aquatique devenait souvent stérile
lorsque le feu, utilisé plus souvent qu'à son tour, servait
à déboiser les terres.
L'essor de l'exploitation forestière a encore plus
de conséquences désastreuses; la construction d'usines
et de barrages fait souvent complètement disparaître des
remontes entières de saumons en plus d'engendrer bon
nombre des mêmes problèmes de survie que l'agriculture.
Ces barrages qui ne sont dotés d'aucun
dispositif pour le passage des poissons non seulement
empêchent le saumon de gagner ses frayères mais
constituent également de véritables barrières en aval des
quelles il se rassemble et peut facilement être capturé.
L'industrie forestière n'est toutefois pas la seule à construire
des barrages : les tanneries, les carderies, les
moulins, etc., ont également besoin de la chute d'un
barrage pour faire fonctionner leurs machines. On calcule
qu'au moins 50% des habitats indigènes et productifs
de saumons disparaissent totalement de l'Est de
l'Amérique du Nord dès 1850 et que la capacité de
production d'un autre 25 % est sensiblement réduite par
l'obstruction partielle des barrages ou par la pollution
de la société agricole et industrielle.'
Dans certaines régions des Maritimes et du Bas et
Haut-Canada, l'agriculture et l'exploitation forestière
attirent un fort pourcentage de la population, d'où une
diminution des activités de pêche sur la côte et en haute
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