Le saumon de l'Atlantique dans l'histoire de l'Amérique du Nord

commerce que dans le port où se trouve le bureau,
ou dans la région immédiate. En d'autres termes, à
l'époque, seule la région de St. John peut faire l'objet
d'une surveillance appropriée. Il est douteux que la
plupart des données sur les transactions commerciales
des stations de pêche éloignées de St. John aient apparu
régulièrement dans les statistiques globales concernant
la colonie. En 1763, par exemple, le rapport officiel
indique que les exportations de saumon à partir de
l'île sont de 694 tierces, mais un auteur estime qu'il
s'agit des seules exportations des résidents de Terre-
Neuve, qui étaient concentrés surtout dans la presqu'île
Avalon. 69 Il faudrait ajouter à ce chiffre la production
combinée, et peut-être plus importante, des marins de
Grande-Bretagne, des employés des compagnies de
pêche établies dans la colonie, des Américains et
d'autres pêcheurs des colonies américaines, des
Français sur les côtes ouest et nord de l'île et des
Indiens. Ainsi, la production totale dans les eaux de
Terre-Neuve pourrait logiquement être au moins deux
ou trois fois plus élevée que celle indiquée dans les
rapports officiels.
En fait, un rapport statistique isolé pour l'année
1757 montre une production au moins quatre fois supérieure
aux production signalées jusqu'à ce jour et au
moins deux fois supérieure à n'importe quelle production
annuelle antérieure à 1772.' Soit que l'année
1757 ait été exceptionnelle du point de vue de la pêche
au saumon, soit que les rapports statistiques aient porté
sur plus de stations de pêche que d'habitude cette
année-là — il s'agit peut-être aussi d'une année où l'on
a commis des erreurs d'écriture. Cet exemple montre
néanmoins qu'il est dangeureux de se fier exclusivement
aux statistiques officielles pour avoir une idée
générale de la valeur et de l'envergure de la pêche au
saumon au fil des âges, que ce soit à Terre-Neuve ou
dans les autres colonies de l'Amérique du Nord.
Même si elles sont indéniablement incomplètes,
les statistiques générales révèlent néanmoins que la
production de saumon a tendance à augmenter à partir
du milieu des années 1760. Le traité de 1763 permet
aux pêcheurs anglais d'étendre leurs activités à une plus
grande partie de l'île, mais aussi aux Terreneuviens
d'accéder à une grande partie de la côte du Labrador,
qui était jusqu'alors occupée par les Français." Même
si le traité favorise le développement et l'expansion
de la colonie, c'est le nouveau gouverneur qui donne
l'élan et l'encouragement nécessaires à cette évolution.
Hugh Palliser entre en fonction en 1764 et voit rapidement
à ce que Terre-Neuve et les territoires qui viennent
de lui être annexés soient développés et dominés par
la Grande-Bretagne. Entre autres réalisations, le vif
intérêt qu'il porte à la pêche au saumon conduit à la
création de nombreux établissements de pêche permanents
et saisonniers dans la colonie. En fait, pendant
la période où il remplit la fonction de gouverneur, il
développe une très importante industrie de la pêche
au saumon. 72
Dans une lettre adressée aux autorités britanniques
peu après son arrivée dans l'île, Palliser écrit notamment
ce qui suit :
On m'apprend que ladite pêcherie de saumon peut être
étendue et améliorée, mais qu'à l'heure actuelle peu de
personnes y sont employées en raison des pratiques
violentes et illicites de certaines personnes qui veulent
empêcher les nouvelles entreprises. Chaque année,
nombre de navires remplis de saumons pourraient
prendre la mer et ces cargaisons pourraient être
vendues sur les marchés étrangers au grand avantage
des sujets de Sa Majesté qui s'occupent du négoce, et
de la nation en général."
Palliser entreprend de poursuivre ses idéaux impérialistes
en informant les Terreneuviens qu'ils jouissent
dorénavant du droit illimité de parcourir la côte ou
l'intérieur ou de pêcher le saumon dans n'importe quel
lac, cours d'eau, rivière et baie. Même si les Français
doivent conserver certains droits de pêche sur la côte,
ils sont maintenant privés du droit de pêcher dans les
rivières et dans l'intérieur et on espère que, sous peu, ils
seront limités à la seule pêche à la morue.
Certaines entreprises de pêche de Terre-Neuve
sont d'abord réticentes à s'établir dans l'ancienne zone
français de peur de faire resurgir d'anciennes animosités.
Toutefois, en 1765, environ le tiers des 5 260 habitants
de la colonie sont concentrés autour de la baie
de la Conception, et des pionniers qui s'aventurent
vers le nord pour pratiquer la pêche fondent Fogo et
Twillingate.' Des habitations sont construites à l'embourchure
de rivières à saumon comme la rivière des
Exploits, la rivière Gander, le ruisseau du Sud et la baie
Halls, tandis que de nombreuses expéditions ont lieu
jusque sur la côte est de la grande presqu'île Nord, voire
jusqu'aux côtes du Labrador.
En 1768, le lieutenant John Cartwright explore
la rivière des Exploits à la recherche des mystérieux
et énigmatiques Peaux-Rouges ou Béothuks. Il constate
l'existence d'une station de pêche au saumon
dirigée par un nommé Cousins, à l'embouchure du ruisseau
Little Rattling.' Les Béothuks sont déjà venus
dans cette région pour pêcher le saumon, mais on les
rencontre plus que rarement à cause de l'empiètement
des saumoniers anglais. Le frère de Cartwright,
George, qui l'accompagne, mentionne que les pêcheurs
anglais ont tellement accaparé la pêcherie que les
Indiens ne peuvent plus pêcher que dans le ruisseau
Charles et un autre ruisseau. Quand John Cartwright
revient dans la région de la rivière des Exploits, deux
dans plus tard, les Indiens n'ont apparemment plus
l'exclusivité du ruisseau Charles. Trois pêcheurs terreneuviens
s'y rendent en effet la même année, mais
leur entreprise n'est qu'une demi-réussite, les Indiens
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