Le saumon de l'Atlantique dans l'histoire de l'Amérique du Nord

et prospérer. Champlain consacre une grande partie de
son séjour en Amérique du Nord à explorer la côte en
détail à partir de la Nouvelle-Angleterre jusque dans le
haut Saint-Laurent, et ses écrits mentionnent fréquemment
la présence et l'abondance du poisson.' Nul
doute qu'il goûte le saumon de la région de Sainte-
Croix lors du pénible séjour qu'il y fait et, par la suite,
il explore les rivières Penobscot et Saint-Jean où, selon
lui, de nombreux navires pourraient facilement être
chargés d'une variété et d'un nombre considérable de
poissons.' Sur ces rivières, il rencontre également des
Indiens qui pendant cinq ou six semaines d'affilée pendant
la saison de la pêche sont entièrement occupés à
pêcher. L'intérêt de Champlain pour la pêche ne semble
pas être seulement fortuit, comme le révèle la remarque
suivante, qui montre que l'on pourrait peut-être lui accorder
le mérite d'avoir établi en Amérique la première
station piscicole :
J'en fis un (jardin) pour éviter l'oisivité, entouré de
fossés pleins d'eau, auxquels y avait de fort belles
truites que j'y avais mises, et où descendaient trois
ruisseaux de fort belle eau courante, ... J'y fis aussi un
petit réservoir pour y mettre du poisson d'eau salée,
que nous prenions quand nous en avions besoin.' *
À Port-Royal, les Français commencent à pratiquer
le troc avec les autochtones, à.s'adonner un peu
à l'agriculture et à la pêche. Le club social le plus
ancien au Canada l'Ordre de Bon-Temps est fondé par
Champlain à l'habitation et profite de la grande variété
de poissons qu'on y trouve en servant du saumon, du
bar, de l'alose et d'autres produits délicieux de la pêche
lors de réunions tenues régulièrement. Encouragés par
les rapports émanant de Port-Royal sur les ressources
halieutiques considérables de la région, d'autres pêcheurs
ayant en vue un intérêt commercial jettent rapidement
les bases d'établissements en Acadie. En 1610,
une association de commerçants et de pêcheurs de
Saint-Malo établit un port sur l'île Caton, actuellement
Long Reach, sur la rivière Saint-Jean.'
Bien qu'en 1613 Port-Royal soit ravagé par un
ennemi venu de Jamestown, en Virginie, qui freine
quelque peu l'activité des Français dans la région, cette
hostilité ne décourage pas l'exploitation de la pêche par
les Français dans le golfe Saint-Laurent; en 1619, deux
associations de marchands sont organisées en France
pour exploiter les ressources de ce secteur. Une société
obtient le droit d'établir une pêche côtière — la compagnie
de la Pêche sédentaire de l'Acadie — tandis que
l'autre obtient du Roi l'autorisation de commercer avec
les Indiens. La principale base de la pêche côtière, est
installée à l'île Miscou. 9
L'influence et la pêche françaises continuent de
croître dans tout le secteur côtier de l'Acadie, et même
à l'époque de Lescarbot, les pêcheurs européens sont si
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bien connus des Indiens de la région qu'on prétend à
l'époque que la langue de ces derniers se compose à
moitié de basque.' Les Anglais essaient de conserver
leur prise de Port-Royal grâce à une colonisation sporadique,
financée par la vente des titres de chevalier
et de baronnet, mais ces efforts s'avèrent inutiles,
l'Acadie étant rendue à la France en 1632. De nouveau,
les Français se consacrent à l'exploitation et à
l'extension des pêcheries.
Cinq années auparavant, en 1627, quelques personnages
dont Champlain, le Cardinal de Richelieu et
Isaac de Razilly forment la compagnie des Cent-
Associés connue aussi sous le nom de compagnie de la
Nouvelle-France, avec l'espoir de monopoliser le commerce
dans la partie de l'Amérique du Nord contrôlée
par la France. En Acadie, leur principal effort dans les
premières années vise à équiper Charles de Saint-
Etienne de La Tour à Cap de Sable. En 1632, Isaac de
Razilly forme une société subsidiaire, dont le centre
d'opérations est à La Hève (LaHave) et devient gouverneur
de la colonie." Tout comme Champlain,
Razilly est profondément impressionnée par les possibilités
offertes par la pêche tout le long de la côte, et il
écrit à Lescarbot que « les lacs y sont remplis de toutes
espèces de poissons d'eau douce. La mer regorge de
flétan du Groenland, d'esturgeon et de saumon ». ' 2 *
Sous la direction de Razilly, l'intérêt accordé au
saumon et aux zones productrices de saumon prend de
l'ampleur. L'espèce est signalée à la rivière aux Ours
(rivière au Saumon, comté de Digby) et aux îles de
Tousquet (Tusket) où « abondent la truite et le
saumon » 3 À LaHave même, ce poisson est pêché en
grande quantité par les hommes de Razilly et
vraisemblablement expédié en France comme produit
d'exportation. Razilly fonde également des postes à
Port-Rossignol (Liverpool), Petite-Rivière et Canseau
(Canso), où il tente d'établir soit une colonie ou des
stations de pêche sous la direction de son lieutenant
Nicholas Denys." Sous la gouverne de Razilly,
l'harmonie règne entre les différents groupes de Français
en Acadie et les progrès sans être rapides s'effectuent
régulièrement et sûrement. Il montre que
l'Acadie n'a pas que la morue à offrir à l'Europe, et
pendant la courte durée de son administration, la pêche
d'espèces autres que la morue prend de l'expansion, le
commerce des fourrures atteint des proportions considérables
et l'établissement sur les terres à des fins agricoles
gagne en importance.
Après la mort de Razilly en 1635, la situation se
détériore, les différentes activités sur lesquelles il avait
la haute main s'en allant à la dérive, et les participants
sont à couteaux tirés pour exercer le contrôle sur les
diverses parties de la côte. En 1640 par exemple, il y a
en Acadie trois gouverneurs — Denys, La Tour et
Charles de Menou d'Aulnay — qui se livrent tous une
concurrence féroce pour s'approprier les ressources et