Le saumon de l'Atlantique dans l'histoire de l'Amérique du Nord

Pendant les premières années d'existence du ministère,
un certain nombre de mesures sont prises en
vertu de la Loi sur les pêcheries, qui semblent avoir un
effet significatif sur cette ressource; une de ces mesures
consiste à cesser toute activité de pêche commerciale et
sportive dans certains cours d'eau pour y faciliter la
reproduction naturelle. En même temps, une série de
stations de pisciculture sont créées; entre 1868 et 1888,
huit de ces établissements piscicoles sont construits
(Newcastle en Ontario, 1868; Miramichi, Nouveau-
Brunswick, et Restigouche au Québec, 1873; Gaspé et
Tadoussac au Québec, 1874; Bedford en Nouvelle-
Écosse et Sandwich en Ontario, 1875; enfin, Grand
Falls au Nouveau-Brunswick, 1880); toutes ces stations,
excepté celle de Sandwich, s'occupent principalement
de l'élevage artificiel du saumon.
Parallèlement à ces mesures, des efforts concertés
du ministère visent à l'aménagement de passes migratoires,
et à une application plus stricte des règlements
grâce aux agents nommés à cette fin; tous ces moyens
semblent avoir amélioré sensiblement la situation du
saumon pendant la première décennie de l'existence de
la nation, particulièrement au Nouveau-Brunswick et
en Nouvelle-Écosse, où le rendement de la pêche au
saumon augmente respectivement à peu près du double
et du triple entre 1867 et 1874. Mais les gains ne sont
que temporaires, et le saumon va de nouveau connaître
un déclin. Par exemple, l'agent des pêches James Hickson
écrit en 1883 au sujet de la baie des Chaleurs :
«Le déclin constant des prises de saumon sur nos côtes
laisse entrevoir la fin de cette pêcherie à très brève
échéance ». 25
L'histoire désormais familière de la disparition du saumon
semble à nouveau se répéter; et, bien que des
progrès améliorent de temps en temps la situation de
l'espèce, de nouveaux problèmes surgissent au XXe
siècle et viennent compliquer ou remplacer les anciens
— parmi ces nouvelles difficultés, qu'il nous suffise de
mentionner les coupes à nu, les usines à pâtes, la pollution
domestique et industrielle, l'aménagement hydroélectrique,
l'exploitation minière, la pêche au filet dérivant,
la pulvérisation d'insecticides sur les forêts, la
pêche en haute mer, et les pluies acides. L'intensification
et l'aggravation de ces nouveaux problèmes ont
mis en échec les efforts déployés pour y faire face et
conserver l'espèce; c'est pourquoi on peut dire que dans
l'ensemble l'évolution du saumon a été synonyme de
déclin jusqu'à nos jours.
Par exemple, à l'époque où Hickson parle de la
baie des Chaleurs, les prises pour cette région se situent
à environ 0.5 million de livres, 286 alors que le début des
années 1800 a déjà connu une production de presque
deux millions de livres. Mais, aujourd'hui, 500 000
livres ne sont pas du tout considérées comme une mau-
168
vaise production pour la région; en 1971, par exemple,
seulement 119 000 livres ont été prises dans la baie des
Chaleurs, et 342 000 livres pour les provinces maritimes
réunies. 287 Des études effectuées en 1971 montrent
que le nombre de poissons reproducteurs était à
son plus bas dans les Maritimes, et que pendant un
certain nombre d'années la population de jeunes saumons
dans les cours d'eau a également diminué sensiblement.
Ces constatations ont amené le gouvernement
fédéral à interdire en 1972 toute pêche commerciale de
saumon au Nouveau-Brunswick pour une durée de cinq
ans; depuis lors, vu la persistance de la baisse des
stocks, toutes les autres provinces où l'on pêche le
saumon se sont vu imposer des restrictions supplémentaires
pour cette pêche. Bien que la prédiction de Flickson
ait quelque peu été retardée, il semble que l'on se
rapproche de plus en plus de la date fatidique pour le
saumon.
D'un autre côté, l'histoire du saumon montre que
tout n'est peut-être pas perdu pour l'avenir de l'espèce.
Car, en dépit de l'image d'exploitation et de destruction
qui s'en dégage, l'histoire du saumon fait apparaître
certains éléments qui vont à l'encontre de la prophétie
de Hickson. Un de ces éléments est l'extrême résistance
du saumon, qui réapparaît à plusieurs reprises en dépit
des tentatives d'élimination massive dont il est victime.
Autre élément : l'espèce a toujours joué un rôle de
premier plan du point de vue économique, et, malgré
une exploitation excessive, le saumon demeure une ressource
intéressante, même si son caractère renouvelable
semble de moins en moins assuré.
De façon plus générale, le saumon a joué un rôle
étroitement lié à l'histoire de la côte atlantique de
l'Amérique du Nord. Lorsqu'on suit l'histoire de l'espèce,
on retrouve dans ses grandes lignes, les hauts et
les bas de l'épopée coloniale, car Sahno salar est toujours
plus ou moins présent dans le dédale de noms, de
dates et d'événements, reliés au commerce, à la colonisation,
à l'exploration, aux relations internationales, à
la culture, à l'expansion territoriale, aux loisirs, aux
étudies scientifiques, et même à la religion. De façon
plus directe, il a permis aux Indiens et aux colons de
survivre; il a permis à de nombreux pêcheurs de gagner
leur vie; il a constitué pour les gouvernements une précieuse
richesse naturelle; enfin il a fait le délice des
pêcheurs sportifs.
Ces valeurs n'ont pas passé inaperçues. Très récemment,
par exemple, il a été reconnu que le saumon,
tout comme les oiseaux dans les mines, constitue l'un
des meilleurs indicateurs de la « santé » de notre environnement
:
Les poissons font partie du premier système d'alerte,
qui aide à nous prévenir du niveau de pollution de notre
environnement. On peut dire aujourd'hui que là où la
vie aquatique prospère, la communauté qui dépend de
cette richesse peut elle aussi survivre.2"