Le saumon de l'Atlantique dans l'histoire de l'Amérique du Nord

frein à l'emprise et à l'expansion françaises dans la
colonie."'
La pêche occupe totalement Terre-Neuve; même
l'Assemblée ne peut siéger pendant la saison de pêche,
car beaucoup de ses membres sont directement engagés
dans cette activité."' À cette époque, la pêcherie est
également en train de se modifier de diverses façons.
Dans le passé, la pêche au saumon était surtout concentrée
autour des embouchures de divers cours d'eau et
rivières, mais maintenant la pêche côtière commence à
se développer; autour de la baie de la Trinité, par exemple,
on signale que « le saumon est capturé le long de la
côte, loin des rivières et des estuaires; les spécimens qui
fréquentent nos ruisseaux sont petits et sans intérêt; ils
ne sont pas dérangés, si ce n'est par un éventuel pêcheur
à la truite qui prend parfois un saumon égaré » • 239 En
plus de cette nouvelle expansion, des pêcheurs venant
des côtes ouest et nord-est s'aventurent au Labrador, où
de nouveaux postes de pêche se développent rapidement
et deviennent permanents, remplaçant peu à peu le
système de pêche à navigation longue, qui ne permettait
de visiter qu'irrégulièrement les baies et les ports durant
la saison. Cette évolution est vue d'un bon oeil par les
autorités, car elle facilite la protection des pêcheries, et
atténue la contrainte s'exerçant localement sur les
stocks de saumon :
Les personnes qui s'installent en permanence dans une
pêcherie de saumon, comprennent évidemment que ce
n'est pas dans leur intérêt de placer des filets sur toute
la largeur d'une rivière, ou de faire fi de la saison de
fermeture; il en est tout autrement de ceux qui, arrivant
les premiers dans un cours d'eau, en prennent possession,
et se mettent à l'exploiter à fond, en se désintéressant
complètement des conséquences de leurs actes. 24°
Prowse signale que l'ensemble de la pêcherie de
Terre-Neuve est prospère jusqu'à la fin des années
1850, mais un long déclin commence au début de la
décennie suivante. En 1860, par exemple, la pêcherie
éprouve temporairement des difficultés, et en 1862 des
conditions météorologiques difficiles ont des effets encore
plus désastreux. Les prises sont faibles, et en 1864
la pêcherie frise l'échec total. De nombreuses activités
sont réduites à un point tel que l'économie de l'île est
presque en faillite. Pendant ces sombres jours de
l'histoire économique de Terre-Neuve, nombreux sont
ceux qui abandonnent l'île, et on conseille fortement
aux éventuels candidats-colons de rechercher des
rivages plus cléments. La situation ne s'améliore pas
jusqu'en 1867, année de la « grande pêcherie » • 241
La ressource représentée par le saumon suit plus
ou moins l'évolution de l'économie en général, même
si on constate semble-t-il une interruption moins brutale
ou moins longue pour la première. Entre 1857 et 1861,
par exemple, les exportations moyennes annuelles de
saumon par la colonie sont évaluées par calcul à environ
162
deux millions de livres, dont une grande partie provient
des prises en hausse du Labrador. Mais, en 1864, les
captures chutent à des niveaux qui n'avaient été observées
que deux fois depuis 1837. Une légère reprise est
apparente en 1865, et les taux moyens du passé sont à
nouveau atteints en 1867, la pêcherie de saumon fracassant
tous ses records de production en 1869. 242
Pendant que L'île de Terre-Neuve connaît des
hauts et des bas, la vie sur la côte du Labrador ne cesse
d'être très dure, surtout pour les classes les moins nanties.
Parmi les nombreux exemples illustrant la situation
lamentable de la région, on peut citer un incident rapporté
en 1848 par le capitaine du 1-1MS Alarm, chargé
cette année-là de faire enquête sur des affaires litigieuses
au Labrador, et d'y apporter des solutions :
Un autre cas m'a été soumis par un certain Chas.
Dickes, installé à Grand Point, à trois milles à l'ouest
de Blanc Sablon, et un colon de 24 ans, qui ayant
appris qu'un capitaine se trouvait à Forteau, a traversé
le pays à pied pour déposer une plainte contre un individu,
qui avait déchiré ses filets à phoques et à saumons,
cc qui, affirmait-il, avait considérablement réduit
le volume de ses prises. Le pauvre homme se
voyait ainsi privé de ses profits saisonniers, et, probablement,
de sa subsistance hivernale. 243
L'examen des documents de l'époque montre que
les conflits tant mineurs que majeurs le long de la côte
du Labrador sont souvent imprégnés de relents d'alcools,
denrées qui, d'après les capitaines des navires
ravitailleurs, sont généralement attendues avec impatience
dans chaque port. L'autorité gouvernementale et
la religion sont encore en grande partie absentes de la
région, mais lorsque l'évêque de l'Église d'Angleterre
à Terre-Neuve visite la côte en 1848, ses commentaires
sont prudents : « Presque tous les habitants sont ou
déclarent être membres de l'Église d'Angleterre ou au
moins souhaitent le devenir ». 244 La situation se complique
encore par l'origine très diversifiée de la population
du Labrador — Français, Américains, Terre-Neuviens,
Canadiens et Britanniques —, et il n'est donc pas surprenant
d'y retrouver une atmosphère de conflits et
d'agitation permanente.
La pêcherie de saumon du Labrador est en plein
essor vers 1845, et des profits intéressants sont réalisés
par beaucoup de compagnies commerciales de l'extérieur
de la région, et même par les habitants de l'endroit.
245 Le principal engin pour la pêche au saumon
utilisé à cette époque au Labrador, est décrit avec justesse
par Lambert DeBoileau, qui est engagé dans cette
activité en 1861 :
Les saunions sont capturés à l'aide d'une « flotte » de
trois filets, reliés entre eux dc façon à former une
enceinte; le poisson n'est peut-être pas pris dans les
mailles du premier, et même du second filet, mais il ne
peut échapper au troisième, car une fois là, il lui est