Le saumon de l'Atlantique dans l'histoire de l'Amérique du Nord

morue, vu la grande abondance de cette espèce. L'ordre
de priorité établi indique probablement l'ordre d'importance
des différentes opérations à l'époque.
Les règlements de Palliser ne s'opposent d'aucune
façon aux droits des propriétaires établis sur la côte
sud-ouest du Labrador, où l'administration du Bas-
Canada a accordé, en 1763, le monopole de la pêche à
Daniel Bayne et William Brymer, deux marchands de
Québec. En outre, une partie du territoire entourant la
baie Bradore est considérée comme une seigneurie
d'Augustin Le Gardeur de Courtemanche depuis le début
du XVIII' siècle. Ces considérations politiques
posent des problèmes qui ne seront pas entièrement
résolus avant le début de la guerre d'Indépendance.'
La pêche devient tellement importante le long de la
côte du Labrador après l'émission des règlements de
Palliser que, pour protéger cette activité, celui-ci érige
des fortifications à Chateau Bay et y poste un détachement
de soldats." Une des premières compagnies de
Terre-Neuve à pêcher et à traiter sur la côte est du
Labrador est celle de Nicolas Darby qui, après 1765,
établit des postes à Chateau Bay, au cap Charles, à
Forteau et à l'île au Bois. Il réussit dans la pêche au
saumon et à la morue et la chasse aux phoques, mais les
Inuit et ses propres employés lui causent des difficultés.
En 1770, des intriguants réussissent à lui faire abandonner
son entreprise, principalement parce qu'il ne respecte
pas les règlements gouvernementaux qui visent à
établir une pêche monopolistique.'
D'autres compagnies oeuvrent au Labrador à cette
époque, notamment John Noble and Company — devenue
ultérieurement Nobel and Pinson — à l'anse Lance
et à la baie Temple en 1770 et au havre Pitts en 1772,
et John Slade, qui remonte vers le nord le long de la côte
au moins dès 1771." Ces entreprises, qui entretiennent
des liens étroits avec le sud-ouest de l'Angleterre, perpétuent
l'idéal de Palliser, qui consiste à établir un
nionopole britannique au Labrador. Selon les estimations,
dès 1765, 117 sloops et schooners employant
I 565 hommes pratiquent la pêche au Labrador. En
1767, au moins 18 bateaux servant strictement à la
pêche au saumon en capturent 45 tierces (13 500 lb de
saumon saumuré). Jusqu'en 1773, ces entreprises,
entre autres, produisent plus de 265 tierces de saumon
(79 500 lb de saumon saumuré) au Labrador.'
On signale qu'en 1774, une grande partie des rivières
à saumon du Labrador, notamment les rivières
Alexis, de l'Aigle et celles de la baie Sandwich, sont
entièrement barrées par des filets." Les cours d'eau de
la région de la baie Sandwich relèvent de la seule autorité
du capitaine George Cartwright, dont la renommée
est soulignée par le village qui porte son nom encore
aujourd'hui. « Old Labrador », comme on l'appelle
dans les dernières années de sa vie, est originaire du
Nottinghamshire, en Angleterre. Il est reconnu comme
un homme intègre, un travailleur acharné, un observa-
teur perspicace et un homme d'honneur, de justice et de
ressources. Cartwright est le deuxième des dix enfants
d'une vieille famille aisée alors confrontée à une situation
financière précaire. Il s'enrole et finit par devenir
capitaine. Toutefois, au terme de la guerre de Sept Ans,
il quitte l'armée avec une demi-solde et, comme il le
révèle, ses revenus sont trop faibles. . . pour lui permettre
de vivre selon son rang de baronnet et d'entretenir
une compagne, deux serviteurs, deux chevaux et trois
paires de chiens."
Par la suite, Cartwright décide de chercher fortune
à Terre-Neuve, où son frère John est stationné à titre de
premier lieutenant du Guernsey, navire amiral du gouverneur
Palliser. Il s'associe d'abord à une entreprise de
Bristol pour participer à l'activité lucrative que constitue
la pêche au saumon au cap St. Francis et à la pointe
Spear. Toutefois, en 1770, ses relations difficiles avec
ses associés l'obligent à quitter l'entreprise et à gagner
le Labrador, plus précisément l'ancien poste de Darby,
au cap Charles, Cependant, ses activités à cet endroit ne
donnant pas des résultats satisfaisants, il se dirige plus
au nord en 1775 pour faire le commerce du saumon, du
phoque, de la morue et des fourrures dans le secteur de
la baie Sandwich, où il construit une belle maison appelée
Caribou Castle. Cartwright est impressionné par le
potentiel de la baie Sandwich et il se prépare à réaliser
une importante capture de saunions. En juillet 1775, il
écrit ce qui suit au sujet de la rivière de l'Aigle : « Nous
en avons déjà produit 140 tierces [42 000 lb], niais nous
avons dû remonter deux filets car le poisson y entrait
trop rapidement. Il y a tellement de saunions devant les
filets qu'il suffit de tirer un coup de mousquet pour en
blesser plusieurs »."
En août 1775, Cartwright capture 1 230 saumons
en cinq jours. Il produit 214 tierces de saumon (64 200
lb saumurés) sur la rivière Paradise et il mentionne que
très peu de poissons s'échappent de ses dix filets de 40
fathoms chacun qui sont tous reliés l'un à l'autre en
travers de l'entrée du cours d'eau. En juillet 1779, il
écrit ce qui suit dans son journal :
Dans la rivière de l'Aigle, nous tuons 750 saumons (35
tierces) par jour, et nous en capturerions plus si nous
avions plus de filets. Trois cent cinquante tierces
17 500 saumons] ont déjà été produites sur la Paradise.
Si j'avais eu plus de filets, j'en aurais capturé 1 000
tierces à ce seul endroit, où les poissons pèsent 15 à 32
livres chacun en moyenne. Dans l'anse Sanshill, deux
hommes ont produit 240 tierces de saumon et ils en
auraient prise davantage, mais nous n'avions plus de
sel.
Entre le 23 juin et le 20 juillet 1779, 12 396 saunions
sont capturés dans la rivière de l'Aigle et, selon
Cartwright, 32 000 auraient pu être capturés aussi facilement.
Pendant les seize années où Cartwright pratique la
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