Le saumon de l'Atlantique dans l'histoire de l'Amérique du Nord

un potentiel agricole et une bonne partie a déjà été
déboisée.' À cette époque, les législateurs s'intéressent
peu aux pêcheries, en dépit de leur exploitation croissante
— et de la destruction rapide de leur habitat —
comme le signale Walter Johnson en 1820 :
Les terres côtières ont toujours été particulièrement
recherchées par les premiers colons; ils en tirent plusieurs
privilèges, comme la pêche qui, bien avant la
production céréalière ou les moulins, a constitué un
moyen essentiel de subsistance pour les habitants.'
PICTOU
À la fin du XVIII' siècle, la pêche de rivière dans
le comté de Pictou est pratiquée par un nombre croissant
de colons écossais venus s'établir dans la région. Ils
connaissent déjà le saumon dont ils sont d'ailleurs
friands; en Écosse, beaucoup vivaient près de cours
d'eau poissonneux dans lesquels ils ne pouvaient pêcher
sous peine d'être sévèrement punis par les riches lords
ou locataires qui détenaient les droits de pêche. Les
concessionnaires établis le long des cours d'eau du
comté de Pictou érigent de petits barrages de fascines
pour capturer le saumon et font progressivement l'acquisition
de sennes ou de filets. La pêche de rivière
devient si active qu'en 1787, la Cour des sessions du
comté juge nécessaire de la réglementer. Au début, des
mesures sont prises pour limiter la longueur des filets de
pêche et des barrages aux deux-tiers de la largeur du
cours d'eau en question. Cette mesure vise plutôt à
permettre aux colons établis en amont de l'obstacle de
profiter eux aussi de la ressource qu'à protéger
l'espèce. De plus, on établit une saison de pêche au
saumon : toute pêche est interdite après le 19 octobre de
chaque année. Il est aussi interdit de harponner les
poissons ou de draguer le fond des cours d'eau au
moyen de filets; quiconque contrevient à la loi est
passible d'une amende de vingt shillings pour chaque
infraction.'
Certains règlements adoptés par le comté de Pictou
sont assez rigoureux même s'ils paraissent assez
laxistes d'après les normes actuelles; pour les bouillants
Écossais de cette époque, toutefois, ils restreignent leur
liberté, constituent un acte criminel et se font l'écho des
brimades imposées fréquemment dans leurs pays d'origine.
L'imposition d'une amende de 20 shillings frise
l'extorsion, car l'argent se fait rare; en fait, toute
amende est purement illusoire. Ainsi, les taxes sont
souvent payées en nature, de même que la dîme, et les
comptes au magasin du comté sont plus souvent réglés
en céréales, en sucre d'érable ou en poissons qu'en
argent ou en or. En raison de la rareté de l'argent, toute
violation de la loi se traduit par un séjour en prison. Le
comté de Pictou n'adopte pas pour autant une attitude
plus souple : en fait, le greffier du comté utilise souvent
plus d'encre pour décrire la condamnation que ne le fait
la loi. En juillet 1791, la Cour des sessions adopte le
règlement suivant :
Nul ne peut acheter ni troquer de saumon frais ou salé
auprès d'un ou de plusieurs Indiens dans le comté,
entre le dix-neuvième jour d'octobre 1797 et de dixneuvième
jour de mai sous peine d'une amende de £10,
dont la moitié sera versée au plaignant et l'autre moitié
aux oeuvres de bienfaisance. 75
En 1798, le tribunal interdit de pêcher la fin de
semaine, de poursuivre, suivre ou rabattre les saumons
vers les filets, ou même de tenir un harpon à proximité
d'un cours d'eau. Quiconque est pris avec un trident en
sa possession près d'un cours d'eau est déclaré coupable
de mauvaise intention et condamné à une amende
de £2. De plus, si cette personne blasphème contre sa
malchance, elle est passible d'une autre amende de
deux shillings.' Toutefois, ces nombreux et sévères
règlements n'auront pas les résultats escomptés. À cette
époque, aucun autre comté de la colonie n'a passé autant
de règlements pour protéger ses pêcheries, mais
dans aucun autre comté, la population de saumons dans
les eaux intérieures n'a décliné aussi rapidement.
CAP BRETON
L'Île-du-Cap-Breton est devenue une colonie
séparée, dotée de son propre gouverneur en 1784, niais
ne peut se vanter d'avoir accompli de réels progrès
avant le début des années 1800, sauf dans le domaine
des pêches. Les colons ne sont guère incités à s'établir
dans l'île, car les mines de charbon et les forêts étaient
réservées à la Marine royale,' et l'agriculture est quasiment
hors de question dans un environnement aussi
inhospitalier « entouré de nombreux rochers escarpés
sur lesquels jaillissent des vagues écumantes et entrecoupé
de lacs et de rivières >>. 78 La pêche est la seule
activité laissée aux quelques colons intrépides et indépendants.
La firme Robin s'établit à LaPointe (Chéticamp)
dès 1786 et exporte régulièrement du poisson vers les
marchés européens. Des statistiques dressées pour l'île
en 1785 indiquent également qu'outre les grands centres
de Sydney, Louisbourg et l'Isle Madame, des poissons
sont également exportés d'autres ports de mer
comme Juste-au-Corps (Port Hood), Lingan, St. Anns,
et plusieurs autres endroits connus des pêcheurs depuis
le début du XVI` siècle.'
Peu après 1800, une pêcherie de saumon est établie
en permanence dans la rivière Margaree, et l'analyse
attentive des renseignements recueillis sur cette
région révèle qu'un réglement, préparé par les propriétaires
fonciers en 1813, décrit la façon de diviser et
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