Le saumon de l'Atlantique dans l'histoire de l'Amérique du Nord

Certains prétendent que la pêche est le principal
moyen de survie des Indiens au Canada, pour qui elle
revêt plus d'importance que la chasse du gibier et, dans
certaines localités, la culture du sol." Bien que la pêche
soit généralement limitée au printemps, à l'été et à
l'automne, elle est souvent pratiquée, dans une certaine
mesure, pendant les mois d'hiver lorsque la chasse sur
terre n'est pas particulièrement fructueuse. Les Indiens
ne pêchent pas de façon sélective; ils capturent et consomment
pratiquement toutes les espèces de poisson
d'eau douce ou de mer et mangent souvent tout le poisson
sans le faire cuire. Cartier relate que les Indiens de
la vallée du Saint-Laurent mangent leur viande et leur
poisson sans cuisson, parfois légèrement fumés." Le
saumon, l'anguille et la barbotte sont fortement prisés.
Chose étrange, ces poissons présentent la plus forte
teneur en calories de toutes les espèces d'Amérique du
Nord, et un observateur fait le commentaire suivant à
cet égard : « Les Indiens semblent choisir leurs mets
préférés en fonction de leur valeur nutritive. Ils découvrent
les aliments dont ils ont réellement besoin et apprennent
à s'en délecter sans aucune publicité ». 59
Les Indiens pêchent sur les plages à marée basse;
ils capturent le homard dans les étangs à marée, et des
amas de coquilles de palourde ont été retrouvés dans les
anciens établissements indiens dans toutes les provinces
maritimes. Les crabes, de préférence rôtis, sont un autre
mets qu'ils affectionnent.' Les autochtones ne se
limitent pas simplement à la pêche en eau peu profonde,
mais partent aussi en mer dans leurs canots pour chasser
le marsouin et le phoque, et les premiers pêcheurs européens
croisent ces autochtones ingénieux à de nombreux
milles de la côte. Les Béothuks se rendent même
en canot jusqu'à l'île Funk, à 45 milles au large de la
côte est de Terre-Neuve, pour y recueillir les oeufs du
Grand Pingouin, espèce actuellement disparue. 6I On
pourrait croire que le kayak traditionnel des Esquimaux
est assez résistant pour permettre ce genre de voyage,
mais les Béothuks se servent de simples canots en bouleau,'
comme le font également les tribus du sud, et ces
groupes des régions maritimes réalisent de brillants exploits
en haute mer avec ces embarcations.
Certes, les autochtones dépendent fortement des
ressources halieutiques, mais ils ne les surexploitent
pas : ils sont relativement peu nombreux le long de la
vaste côte est et ne provoquent donc que périodiquement
des diminutions négligeables des stocks qui se
rétablissent rapidement. On estime, par exemple, qu'au
cours des premiers voyages d'exploration des Français,
tout l'est du Canada compte moins de 8 000 Indiens.'
D'après Beamish Murdoch, en 1610, l'Acadie compte
entre 3 000 et 3 500 Indiens; avec une densité maximale
d'une personne par 15 milles carrés, 64 les
Indiens ne peuvent causer de graves dommages dans
des régions où affluent les poissons et le gibier.
En règle générale, les Indiens n'ont pas tendance
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à stocker de grandes quantités de nourriture en prévision
des mauvais jours, car ils adoptent le régime de
subsistance des nomades. Il est tout à fait inutile de
constituer des réserves d'aliments lorsque la nature
offre des ressources inexhaustibles. Néanomoins,
certaines tribus plus sédentaires préservent de petites
quantités de nourriture, généralement par fumage ou
séchage :
En été, lorsque le homard est abondant et excellent, les
Indiennes (de la Nouvelle-Angleterre) le sèchent en
prévision de l'hiver; elles le déposent sur des échafauds
au soleil sous lesquels elles font des feux, dont la fumée
éloigne les mouches, jusqu'à ce que Ic crustacé devienne
dur et sec. De la même façon, sans employer de
sel, elles préparent le bar et d'autres espèces; elles
coupent les poissons en tranches très minces de sorte
qu'ils sèchent rapidement avant que les mouches ne les
gâtent ou que la pluie ne les mouille; aussi s'assurentelles
de les pendre dans des fumoirs pendant la nuit et
les jours humides. 65
À Hochelaga, Cartier observe que les Indiens
« possèdent, dans leur demeure, de grands contenants
qui ressemblent à des puncheons dans lesquels ils conservent
les poissons comme l'anguille et d'autres espèces
qu'ils fument en été et dont ils se nourrissent
pendant l'hiver »."
Les Indiens de Terre-Neuve semblent sécher le
saumon par des méthodes similaires à celles employées
d'abord par les Européens pour sécher la morue; ils
n'utilisent aucun sel, et le saumon est simplement
coupé et étendu à plat, puis maintenu clans cette position
avec des bâtonnets.' D'après certains documents, ils
fabriquent un certain type de farine de poisson à partir
du poisson séché ou fumé puis pulvérisé et ils la conservent
dans des paniers et des sacs faits de peaux et
s'en servent dans la préparation des bouillons ou des
soupes. 68 Dans l'extrême nord, les Indiens et les Esquimaux
congèlent sans cloute certains poissons par
congélation.
D'après des indices, certaines tribus vivant en bordure
de la côte et des cours d'eau font le commerce du
poisson avec les bandes qui pratiquent l'agriculture à
l'intérieur des terres' mais, étant donné que le poisson
pullule dans toute la région de l'Atlantique, il y a très
peu de tribus qui n'ont pas accès à une pêcherie locale.
En conséquence, les autochtones ne pêchent généralement
pas le poisson pour en faire le commerce avant
l'arrivée des Européens; à ce moment, un important
commerce de poissons s'établit entre certaines tribus et
les Blancs. Par exemple, les Indiens de la région de
Restigouche troquent le saumon contre d'autres produits
avec les Français qui accostent à la baie des Chaleurs.'
À la fin des années 1700, Simeon Perkins, l'un
des fondateurs de Liverpool, en Nouvelle-Écosse, fait
le commerce du saumon avec les Micmacs le long de la