Le saumon de l'Atlantique dans l'histoire de l'Amérique du Nord

exceptionnellement peu de précipitations, et de nombreux
cours d'eau et rivières de la province ont un
niveau d'eau très bas. Ces conditions étaient particulièrement
néfastes pour le saumon, et beaucoup furent
capturés dans les fosses et au pied de chutes et de
rapides non navigables. À la suite de plaintes à ce sujet
et contre d'autres abus de la part de certaines personnes,
un Comité d'amendement de la loi est constitué par la
Législature; son mandat est d'enquêter sur les pêcheries
des rivières et de proposer des modifications aux règlements
existants. L'Honorable A.G. Archibald, président
du comité, singale peu après divers cas de
« négligence criminelle » et il insiste sur l'urgence de
« mesures draconiennes » pour la restauration et la protection
des pêcheries."
Dès 1865, on donne suite aux propositions par
l'adoption d'une réglementation rigoureuse : une saison
commerciale de pêche au saumon est fixée, à savoir du
1" mars au 31 juillet dans toutes les eaux à l'ouest de
Halifax, et du 1" mars au 15 août dans la baie de Fundy
et à l'est de Halifax; une amende de 40 $ pénalise ceux
qui ne respectent pas ces dates. La réglementation prévlit
également la cessation de la pêche en fin de
semaine, l'interdiction des filets à poche dans tous les
ports et rivières, et à moins de un mille de toute rivière;
enfin, la capture du saumon au filet ou à la pointe est
interdite dans toute section d'eau douce de rivière. Il
n'est permis d'installer les filets que d'un seul côté de
l'estuaire d'une rivière et la longueur de filet ne doit pas
dépasser le tiers de la largeur du lit; de plus, tout filet
doit se trouver à au moins un huitième de mille du pied
d'un barrage éventuel. Enfin, les propriétaires de moulins
doivent aménager une passe migratoire à travers
leur barrage, conformément à un modèle donné.'
La « Fisheries Protection Society » insiste depuis
longtemps sur la nécessité d'aménager des passes migratoires,
et, elle a en fait proposé un modèle général,
qui a été accepté par la Législature comme dispositif
obligatoire pour tout barrage construit par l'homme. La
réglementation décrit ainsi ce type de passe :
150
Cette échelle à poissons ne doit pas avoir une pente de
plus de un pied par sept; elle doit avoir une ouverture
d'au moins trois pieds de large au sommet du barrage,
et l'eau doit toujours avoir au moins un pied de profondeur
à l'entrée de cette ouverture; le fond de l'échelle
doit être étanche à l'eau et recouvert de pierres; à tous
les six pieds, des morceaux de bois ou de roche doivent
être fixés en alternance et à angle droit sur les parois
latérales, de telle façon que l'eau s'écoule en passant
d'un côté à l'autre — le couloir ainsi créé doit avoir au
moins un pied de large, et les morceaux de bois ou de
roche faisant saillie ne doivent pas avoir plus de deux
pieds de haut; l'extrémité inférieure de l'échelle à
poissons doit être fixée solidement au fond du cours
principal de la rivière, conformément au modèle
d'échelle à poissons, déposé au bureau du Secrétaire
de la province.'"
Des problèmes surgissent dès l'application de la
nouvelle réglementation. Par exemple, l'obligation de
construire des échelles à poissons dans toute la province
est beaucoup critiquée, même par la « Fisheries Protection
Society ». On estime généralement qu'il n'est pas
possible de trouver un modèle universel d'échelle à
poissons pour toute la province, et qu'il faudrait auparavant
étudier tous les types d'échelles à poissons dans
diverses conditions d'exploitation, et dans d'autres régions
du monde, de façon à pouvoir déterminer quel est
le dispositif le plus efficace pour une situation donnée.
Le règlement sur les échelles à poissons est donc abrogé
en 1866 pour toutes les régions situées à l'extérieur du
comté de Halifax, excepté la rivière Clyde, où le modèle
particulier d'échelle sera expérimenté.'
Il faut également s'attendre au non-respect des
autres clauses de la loi de 1865. Il est totalement irréaliste
de croire que les pêcheurs estuariens allaient se
mettre à ne pêcher que d'un seul côté de la rivière, et
que des pratiques aussi profondément enracinées que la
pêche à la pointe pourraient être abandonnées plus facilement
que l'usage du tabac — la manière de vivre ne
peut être changée de façon aussi expéditive que la loi.
Mais, la Législature n'a-t-elle pas déjà anticipée le
manque d'efficacité de la réglementation en demandant
aux Cours des Sessions des Comtés de nommer des
gardes-pêche sur les rivières pour faire respecter la loi;
comme le fait observer un commentateur de l'époque
« c'est ainsi que se termine l'histoire. . . Quant à savoir
si le garde a fait son devoir ou non, personne ne s'en est
jamais vraiment soucié ».
La pêche en Nouvelle-Écosse demeure donc pratiquement
sans contrôle jusqu'à l'époque de la Confédération;
les causes reconnues de la destruction des stocks
de saumon sont les barrages de moulins dépourvus
d'échelles à poissons, la pêche à la pointe sur les
frayères, et la pêche illégale au filet partout où celui-ci
peut être utilisé. Au sujet de la situation des pêches en
1867, Frederick Vieth écrit que les pêcheurs ne font
toujours aucune distinction entre les saisons, et que les
inspecteurs de comté nommés par le gouvernement sont
négligents dans leur travail; pis que cela! les magistrats
des comtés laissent violer la loi sous leurs propres
yeux.' Le grand élan réglementateur qui caractérise la
province dans les années 1850 et au début des années
1860, s'est émoussé, et « l'état de nos rivières est
actuellement (1867), dans beaucoup de régions, aussi
déplorable qu'on le décrivait en 1854 Le mot de la
fin appartient au Comité des pêches de la Législature,
lorsqu'il relate en 1867 ce qui suit :
Malgré les règlements successifs au cours des années
dans cet important secteur, rien ou presque rien n'a été
fait pour empêcher la destruction gratuite et irréfléchie
des diverses espèces de poissons fréquentant les 'rivières
de notre province.'"